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commandant, et la lutte, une lutte acharnée, une véritable campagne, s’ouvrit contre les brigands. Ceux-ci se recrutaient principalement dans la petite ville de Sonnino, à vingt-cinq lieues de la capitale ; aussi le bourreau et le chevalet du supplice y étaient-ils en permanence sur la grande place. Aux deux portes extrêmes de la ville, assise sur la chaîne des montagnes de Terracine, entre les états romains et ceux de Naples, étaient exposées les têtes des suppliciés. Quand les coupables n’avaient pas mérité la peine de mort, on leur administrait vingt-cinq coups de nerf de bœuf, appliqués avec une vigueur toute romaine, et, comme cette punition était rachetable un écu par cinq coups, on en ajoutait cinq pour les pauvres. Ces rigueurs n’ayant pas suffi, le gouvernement pontifical se résolut à user des moyens extrêmes contre ce nid de brigands. Un édit fut lancé qui en ordonna la démolition, et qui, indépendamment d’une gratification promise pour l’arrestation ou la mort d’un chef, garantit un dégrèvement d’impôt à toute commune qui aurait détruit une bande[1]. En un tour de main, une grande partie de la population de Sonnino fut enlevée, et plus de deux cents montagnards, hommes, femmes, enfans, tous brigands ou parens de brigands, furent entassés à Rome, les chefs au château Saint-Ange, le reste à l’établissement de travail des Termini, ainsi appelé parce qu’il est en face des thermes de Dioclétien.

C’est alors que Léopold s’avisa de solliciter du monsignore gouverneur de Rome, depuis cardinal Bernetti, la concession d’un local propre à travailler au milieu de cette population transplantée. La permission obtenue, il s’installe aux Termini, se mêle aux brigands, dont son argent le fait bien venir, et passe deux mois à les peindre d’après nature, le plus souvent seul au milieu d’eux, parfois en société avec Michalon, qui en fit plusieurs études. Vigueur d’accentuation, énergie de physionomie, beauté de stature, souplesse et fierté de poses, originalité de costumes et de mœurs, tout s’offrait à la fois dans les modèles pour donner aux petits tableaux de Robert une puissance de caractère inaccoutumée. Il réussit au-delà de son attente, et, quand ses études furent terminées, il acheta aux brigands tous les habits qu’il en put obtenir, et qu’il se proposait de faire entrer dans des tableaux nouveaux. Cette collection de costumes et d’armes, également achetées aux brigands, était d’un beau choix : c’est le seul luxe qu’il se soit jamais permis. Un soir que, durant l’hiver de 1830-1831, si fertile en troubles politiques dans les Légations, Léopold recevait chez lui un certain nombre d’artistes et d’amateurs, une émeute, soulevée à Rome même par l’imprudence de quelques jeunes gens de l’académie de France, grondait sous les fenêtres de la maison. Un des hôtes vint à demander quelle attitude

  1. L’édit est du 18 juillet 1819. Le dégrèvement portait sur le sel et les farines.