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III.

Qui de nous, en franchissant, surtout pour la première fois, les derniers pics glacés des Alpes savoisiennes, n’a senti tout à coup l’air comme s’amollir, et la flore de l’Italie pousser comme à notre rencontre son haleine embaumée ? Ainsi Robert se sentait enivré aux caressantes approches de ce qu’il appelait sa terre promise, et il s’élançait vers la vallée d’Aoste en chantant les strophes de la Mignon de Goethe, que lui avait envoyées Brandt : « Connais-tu la terre où les citronniers fleurissent ? où, dans leur sombre feuillage, mûrissent les oranges dorées ?..... » Enfin il est arrivé à Rome. Il baise la terre antique. Ses premières lettres, ses premières exclamations sont pour Brandt.

« C’est de Rome que je t’écris, mon cher, et ce n’est pas un rêve ! Quel séjour enchanteur ! quel paradis pour un artiste ! Ah ! cher ami, je n’oublierai jamais que je te dois ce bonheur. Tout fait naître en moi des sentimens inconnus, délicieux. Je sens que jusqu’ici je n’ai pas vécu. On est ici forcé de penser, et on ne peut avoir de ces pensées étroites et mesquines comme on en a chez nous. Mon cœur est trop plein, je ne sais comment commencer ma lettre....

«Ah ! mon cher, quelle joie j’ai éprouvée en voyant le Vatican ! Quels beaux ouvrages et quelle quantité ! Ah ! David disait bien vrai, quand il disait que le ciel d’Italie pouvait seul inspirer l’artiste. Je cours beaucoup : je ne puis rester en place. Tu vois avec quelle hâte je remplis cette lettre. Il me semble toujours que je perds mon temps quand je ne vois rien de nouveau. Je veux d’abord faire un grand nombre d’esquisses, surtout dans les premiers mois. J’ai l’intention d’essayer ensuite quelques études au pinceau d’après de bons tableaux, et puis nous verrons si j’oserai moi-même entreprendre un tableau, mais pour cela il faut tâcher, de manière ou d’autre, de gagner de l’argent, car naturellement avec cinquante louis on ne peut rien entreprendre. Cependant tout ira bien, j’espère ; jamais je ne me suis senti si content et si heureux. » (Rome, 19 juillet 1818.)

Quelle voie va-t-il suivre ? Il est parti pour Rome, comme il le dit quelque part, avec l’idée d’y vaincre ou d’y mourir. « Ce qui me fait espérer des progrès, disait-il avant de se mettre en route (lettre à Brandt de décembre 1817), c’est qu’aucun de mes ouvrages ne me plaît, et que je sens mieux que je ne puis faire maintenant. » Ce mieux, cet idéal qu’entrevoit sa pensée, et qui sera l’étude ardente de toute sa vie, il le cherche donc sur la toile, il le cherche avec acharnement. Il vit dans une retraite silencieuse, d’une vie d’austérité, de labeur, d’économie, d’incessante et opiniâtre activité. D’abord, il fait de nombreuses études d’après nature, et il ne s’interrompt que pour composer de