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coquetterie et d’effets factices, et tuent à l’envi la gravure de style. Robert n’eut en général que dédain pour ce genre à la mode. « Non pas, disait-il en 1834 à un graveur célèbre, qu’un véritable artiste n’ait pu faire la débauche de s’y essayer, et, relevant le genre de sa mollesse native par le secours magistral du burin, ne s’y soit montré supérieur, parce que l’homme fort est toujours lui-même, quel que soit son instrument ; mais la vraie gravure historique n’en sera pas moins toujours la gravure en taille-douce, pourvu qu’elle sache se donner de l’aisance et de la liberté. » Aussi était-ce le seul genre de gravure qu’il goûtât avec les eaux-fortes de maîtres. Il aurait aimé à voir ses œuvres gravées d’une manière pittoresque, et, comme il le disait, avec ragoût. Il détestait cette gravure froide et compassée que les graveurs appellent exclusivement classique, qui sent le métal, et accorde trop à la mécanique pour ne pas négliger le sentiment. C’est ce sentiment qui donne du prix aux Poilly, qui fait passer sur les défauts des Mellan et des Chauveau, qui fait le charme des petits maîtres dont le talent si souple, si délicat et si fin s’est mis, sous Louis XV, au service des peintres de la décadence.

Le grand graveur suisse mort en Angleterre, Abraham Raimbach, qui a si merveilleusement traduit les principaux ouvrages de David Wilkie, appelait la taille-douce la seule gravure légitime. En effet, par sa fermeté, par la diversité, par le savant entre-croisement de ses tailles, elle dispose d’une variété, d’une intensité de tons, d’une transparence de clairs-obscurs, refusées aux autres genres. Aussi Robert ajoutait-il que, s’il était demeuré graveur, il se fût ligué avec les artistes vraiment dignes de ce nom : les Al. Tardieu, les Desnoyers et les Dupont en France, les Toschi, les Jesi en Italie, les Raimbach, les Doo, les Robinson en Angleterre, les Frédéric Müller en Allemagne, pour protester de toute la force de son courage contre l’envahissement des genres bâtards.

Le graveur peut passionner le cuivre comme le peintre passionne la toile ; mais les œuvres des maîtres du burin prouvent assez que leur première préoccupation est moins la beauté de la taille que la conservation du caractère de leur modèle. On n’est un maître qu’à ce prix, tant il est vrai qu’en toute chose il faut plus d’esprit qu’on ne le croit pour se servir de l’esprit des autres. C’est l’écueil même des plus grands talens. Ainsi, que l’on compare les séduisans mensonges de Raphaël Morghen avec les originaux qu’il a traduits : par exemple, sa gravure de la Cène de Léonard de Vinci avec ce qui reste de cette admirable peinture au réfectoire des dominicains de Milan. Traduttore, traditore, dit-on souvent des plus habiles. A côté des originaux de Raphaël, du Corrége, de Poussin, mettons les estampes qu’en ont faites les vieux maîtres et celles des modernes. Ces derniers, dont l’outil sera, si l’on veut, plus beau, paraîtront plus exacts peut-être au premier aspect,