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et n’avait ni les talens ni les défauts de ce singulier artiste. Revenu de Paris en 1810 pour se marier dans un village voisin du Locle, Charles se préparait à retourner dans la capitale. Il proposa d’emmener Léopold et de le former à sa profession. Le père de Robert y consentit, et ce fut chez cet honnête praticien que l’enfant passa les premières années de son séjour à Paris.

Girardet lui enseigna les rudimens de la gravure, le poussa, à sa manière, dans l’étude du dessin, l’envoya travailler d’après nature à l’académie des beaux-arts, et le laissa en même temps fréquenter l’atelier de David, où il avait demandé à étudier. Léopold suivit ces leçons de son choix avec ardeur, car il ne faisait rien sans passion. Ce n’est pas que la méthode d’enseignement de David fût, en général, autre chose que la vieille routine pratiquée chez son maître Vien, chez Lemoyne le maître de Boucher, chez Simon Vouët le maître de Le Sueur et de Le Brun, — c’est-à-dire l’étude, toujours l’étude du modèle humain ; mais ce que cette méthode éternelle avait de dangereux pour le développement de l’intelligence des jeunes gens, David savait le corriger par des leçons sur la composition, par des conseils sur les principes les plus élevés de la philosophie du dessin, par un art merveilleux à saisir en ses élèves le secret de leur génie natif et à les diriger dans leurs propres voies. En effet, il ne voulait point être imité. « On peut étudier les maîtres, leur disait-il sans cesse ; mais c’est la nature seule qu’il faut suivre. On se fait toujours soi-même. Je veux vous préparer pour vous, suivant votre nature, et non contre nature. » Les paroles de David se sont gravées partout où elles sont tombées.

Robert montra, dès ce moment, en ses dessins, un singulier amour de la précision, mais avec cela aussi une difficulté native de travail. Le grand maître eut bientôt discerné ce qu’il y avait en lui de volonté vigoureuse et intelligente. Il l’encouragea avec une bienveillance particulière, et déclara à son jeune Léopold, comme il se plaisait à l’appeler, que, s’il continuait avec la même volonté, il serait tout ce qu’il voudrait