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innombrables. Mais déjà, maintes fois, nous avions vu de ces sortes de sièges sans que jamais la place capitulât. Au lieu de parler ainsi vaguement et par image, il fallait tout simplement nous dire combien de déposans avaient, pendant ces quinze jours, réclamé leur argent, à quelle somme se montaient leurs demandes. Ce sont seulement des chiffres qu’on devait nous donner pour nous prouver qu’on ne s’était pas trop hâté. S’il était vrai, en effet, nous n’en voulons rien croire, que le décret du 9 mars eût été rendu à première vue, au juger, pour ainsi dire ; qu’on eût d’emblée déclaré la crise insurmontable, sans avoir fait un calcul pour en sonder l’intensité, sans avoir fait un effort pour l’arrêter ou l’amortir, M. Garnier-Pagès, qu’il le sache bien, serait sous le poids de la plus lourde des responsabilités. Lui, si prompt à proclamer des banqueroutes imaginaires, en avoir ébauché une malheureusement trop réelle ! avoir porté à l’honneur du trésor public de France la plus rude, on peut même dire la première atteinte qu’il eût subie depuis le 24 frimaire an vi, et, ce qui n’est pas moins grave, avoir, sans nécessité, frappé à mort la plus utile, la plus morale, la plus bienfaisante de toutes les institutions inventées depuis le commencement du siècle pour améliorer la condition du peuple ! Les caisses d’épargne, dans leur histoire de trente ans, n’ont, à ma connaissance, qu’un jour néfaste, un jour déplorable, et ce jour, c’est le 9 mars. Que M. Proudhon eût mis si grande hâte à promulguer un tel décret, lui qui a l’épargne en horreur, lui qui croit l’économie homicide, cela serait tout naturel ; mais M. Garnier-Pagès ! Je crains, faut-il le dire ? que sa malheureuse théorie ne l’ait encore égaré à cette heure solennelle. Sur la foi de son système, il se sera imaginé que les 355 millions, tout d’un bloc, allaient être exigés par cela qu’ils étaient exigibles, et qu’il faudrait vendre toutes les rentes des caisses d’épargne en quelques jours et jusqu’au dernier coupon ! Il n’aura pas même essayé de comprendre que cette sorte de dette ne s’acquitte pas seulement avec de l’argent, qu’il faut parler aux imaginations encore plus que remplir les bourses, que payer exactement les premiers qui se présentent, c’est renvoyer, presque à coup sûr, tous les autres chez eux, et qu’avec l’encaisse providentiel laissé au trésor on pouvait, sans témérité, jouer cette noble partie, sauver les caisses d’épargne, et peut-être en même temps rendre confiance au pays ! Mais j’oublie la politique ! j’oublie l’Hôtel-de-Ville ! j’oublie la propagande et les ateliers nationaux ! Remplir religieusement des engagemens sacrés, quelle folie ! il y avait mieux à faire des trésors de la France ! C’est là, je le crains bien, la véritable excuse de M. Garnier-Pagès, la véritable cause du décret du 9 mars.

Mais ne soulevons pas des voiles bien assez transparens, et retournons à la dette flottante. Nous croyons avoir surabondamment prouvé qu’à aucun titre on ne pouvait y faire figurer les fonds des caisses