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toutes exigées ? Les billets de banque aussi sont exigibles ; ils l’étaient du moins avant le 24 février ; ils étaient même payables à vue, tandis que les livrets des caisses d’épargne n’étaient remboursables qu’après présentation et au moins à quinze jours de vue. Un logicien pouvait donc aussi s’amuser à supposer qu’un certain jour, à la même heure, dans toutes les banques de France, le paiement de tous les billets pouvait être exigé ; mais n’était-ce pas là la plus chimérique des hypothèses, et une incontestable expérience ne démontre-t-elle pas que, dans une banque de circulation, pour parer aux prévisions les plus sombres, une réserve métallique égale au tiers du capital circulant est parfaitement suffisante ? Eh bien ! quant aux caisses d’épargne, trente années d’observation non-seulement chez nous, mais en Angleterre, et dans tous les pays où cette excellente institution s’est acclimatée, avaient déjà permis d’établir des calculs de probabilités aussi bien que pour les banques de circulation. Ainsi jamais, ni au milieu de grandes crises commerciales long-temps prolongées, ni à la suite de crises politiques comme la révolution de 1830, ni même sous l’influence de paniques entretenues et exploitées par la malveillance, les demandes de remboursement ne s’étaient élevées à plus de 15 et 20 pour 100 de la somme des dépôts existans, et toujours ces demandes avaient été compensées, dans une proportion variant entre 5 et 10 pour 100, par des versemens parallèles aux retraits. Tout récemment encore nous venions d’en faire l’épreuve : dans ce calamiteux hiver de 1846 à 1847, lorsque la cherté des subsistances et le ralentissement du travail forçaient la nation entière à entamer ses épargnes, l’excédant des retraits sur les versemens n’avait pas dépassé 30 millions. Ainsi même dans cette désastreuse année, la loi observée jusque-là ne s’était pas démentie. Le service s’était fait si aisément, on avait été si loin d’atteindre les limites du compte courant, que la pensée, je ne dis pas la nécessité, de vendre une portion quelconque des rentes appartenant aux caisses d’épargne ne s’était pas présentée un seul instant. A moins donc de prendre plaisir à se créer des fantômes, il était impossible, on doit le reconnaître, d’appeler dette flottante une dette qui avait acquis une telle fixité, et qui prenait presque tous les caractères d’une véritable dette fondée.

Maintenant que s’est-il passé entre le 24 février et le 9 mars ? Les demandes de remboursement ont-elles fait une irruption si violente et si soudaine, que tout espoir de maintenir les digues qui avaient résisté jusque-là se soit tout à coup évanoui ? Il faut bien le supposer, puisqu’on s’est résigné si vite à la dernière des extrémités, à la suspension de paiemens. M. Garnier-Pagès est sur ce point très sobre d’explications ; il se contente de nous dire qu’à son entrée au ministère, les caisses d’épargne étaient assiégées et les demandes de remboursement