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intestins, les pieds, la tête, produisaient, d’après les états de 1812, un débit de 63,536 kilogrammes ; on a constaté, en 1840, une vente de 4,227,109 kilogrammes, provenant des abattoirs intérieurs et des entrées aux barrières : c’est une consommation soixante-six fois plus forte.

Résumons, par un exemple frappant, tout ce qui vient d’être dit sur l’insuffisance du régime alimentaire des Français. Après les fatales journées de juin, la prudence autant que l’humanité commandait au gouvernement républicain de traiter les prisonniers de manière à éviter les causes d’irritation. On leur alloua une ration quotidienne qui est à peu près celle de nos soldats en garnison : 750 grammes de pain bis, avec 100 grammes de pain blanc et quelques légumes pour la soupe, 179 grammes de viande, et 33 centilitres de vin. Eh bien ! ce que la France fait pour ses enfans égarés, elle ne le pourrait pas faire, à beaucoup près, pour tous ses enfans dévoués et paisibles. On estime que les 36 millions d’habitans de tout âge et de tout sexe équivalent, pour la consommation, à 24 millions d’adultes. À ce compte, pour que tout Français fût nourri à l’égal des insurgés de juin, il faudrait que la France eût à consommer 96 millions d’hectolitres, blé ou seigle, et elle n’en récolte que 90 millions, année commune ; il faudrait qu’elle mît en vente, pour l’intérieur, 29 millions d’hectolitres de vin au lieu de 24 ; il faudrait enfin qu’elle eût à partager 1,560 millions de kilogrammes de viande, et elle n’en distribue que 674 millions !

On varie sur tous les tons du désespoir cette phrase qui date de Sully : Les bras manquent à l’agriculture ; on s’épuise en projets pour faire refluer dans les fermes la population exubérante des ateliers. Combien d’erreurs dans ces plaintes, et, pour celui qui ne puise pas ses convictions dans le courant des idées banales, combien le découragement est légitime quand on découvre une telle inadvertance chez ceux qui régentent les sociétés ! Au point de vue de l’intérêt national, les bras manquent si peu dans nos campagnes, que le vice capital de notre industrie agricole est l’excès de la main-d’œuvre, comparativement à la misère des produits obtenus. J’ai dit que, pour récolter beaucoup plus à égale étendue, l’Angleterre emploie deux fois moins d’ouvriers que la France[1] ; mais, quoique la population qui vit en France de la culture du soi y soit peut-être surabondante, il n’en est pas moins vrai que, très souvent, les chefs d’exploitation ont de la peine à réunir les ouvriers dont ils auraient besoin, et que beaucoup d’entreprises utiles sont entravées par des difficultés de main-d’œuvre. Faut-il donc s’en étonner ? Ne ressort-il pas de tout ce qui précède que le travail des champs est placé dans des conditions déplorables ?

  1. Je reconnaîtrai, pour être exact, que les cultures anglaises sont moins variées et exigent moins de détails.