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que l’accroissement de récolte obtenu au moyen de l’engrais acheté procure un bénéfice.

La science en est venue à se préoccuper aujourd’hui de l’alimentation des végétaux comme de celle des sociétés humaines. Il n’y a plus de débris ou d’immondices qui n’aient été soumis à l’analyse chimique. On sait ce que chaque espèce de ces résidus contient d’élémens propres à la reproduction des plantes. On a établi systématiquement la valeur commerciale de toutes les matières qui peuvent être employées comme engrais. Cet humble tarif du prix des fumiers serait, aux yeux du vrai philosophe, une page de haut enseignement. On y verrait comment la sagesse providentielle a pourvu à la subsistance de tous les êtres créés. Chaque animal accumule autour de lui assez de débris pour provoquer la reproduction des alimens qu’il absorbe, et, si l’on trouvait le moyen de recueillir et d’utiliser toutes les ordures dont se nourrissent les végétaux, l’accroissement des populations cesserait d’être un motif d’inquiétude pour les sociétés. Suivant M. Boussingault, les déjections naturelles de l’homme, fournissant par année 3 kil. 61 d’azote, suffiraient à la reproduction de 102 kilog. de froment, le tiers à peu près de ce qu’un adulte consomme. Les débris de sa table et de son vêtement, la litière qu’il fait sans s’en douter, sont également imprégnés de sucs animalisés dont la déperdition cause un déficit incalculable. Les seuls chiffons de laine provenant, selon les calculs de M. de Gasparin, d’une consommation évaluée à 43 millions de kilog. fourniraient en azote, à raison de 17,98 parties pour 100, l’équivalent de 19,328,500,000 kilog. de fumier de ferme, laquelle masse enrichirait le pays de 2,241,606 hect. de blé. D’un autre côté, nos ingénieux et infatigables chimistes cherchent le moyen d’activer la végétation par l’emploi direct des sels auxquels les engrais empruntent leur énergie. Un temps viendra peut-être où les laboratoires fourniront des stimulans artificiels en assez grande abondance et à des prix assez bas pour faire au fumier naturel une utile concurrence. Au surplus, la grande culture aura toujours pour principe la fabrication des engrais à domicile au moyen des animaux nourris dans le domaine : le prix de revient du fumier de ferme sera toujours le régulateur de la spéculation agricole.

Considérée à ce point de vue, l’agriculture suggère des réflexions peu flatteuses pour la vanité humaine. La première loi de la nature, c’est que la mort engendrera la vie. L’ordure dont le citadin détourne son pied dédaigneux formera l’herbe des champs ; en s’animalisant dans le corps de la brute, l’herbe deviendra chair, et, comme chair, elle entretiendra la vigueur des populations, jusqu’au jour où chacun des mangeurs de chair, chétif ou puissant, bon ou mauvais, inepte ou sublime, redeviendra successivement engrais, herbe, aliment, esclave ou despote, cheval ou cavalier !