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nombreux, sont mieux vêtus, mieux meublés ; chacun, suivant son rang, possède plus de choses utiles. Le riche est plus riche en ce sens qu’il se procure plus de jouissances à moins de frais ; le pauvre, malgré des souffrances trop réelles, est, de toute façon, moins malheureux que dans les temps anciens.

L’agriculture n’a pas marché du même pas que l’industrie manufacturière. Dans la plus grande partie du monde civilisé, elle est restée à l’état de labeur domestique, c’est-à-dire que chaque homme en possession d’un lot de terre s’y cantonne et l’utilise suivant la routine de ses pères et en vue de ses propres besoins. La culture élevée à l’état de spéculation industrielle, pratiquée avec les combinaisons et les ressources qui en doivent multiplier les bénéfices, est encore le fait exceptionnel. Il est dans l’ordre et la nécessité des choses humaines que l’art de fabriquer les alimens parcoure les mêmes phases que la fabrication des objets mobiliers ; mais on conçoit que la transformation soit plus lente. Le régime de la propriété, la distribution des forces sociales, les usages suivis pour la location du sol, les rapports du capital foncier et de la richesse mobile, l’état des populations rurales, sont autant de circonstances qui facilitent ou entravent les efforts du cultivateur.

Quels sont, en ce qui concerne la France, les obstacles opposés au développement rationnel de l’agriculture ? Grande question dont la portée descend jusqu’aux entrailles de notre société. Si je ne me trompe, il doit suffire de constater les conditions dans lesquelles s’exerce chez nous l’industrie culturale, pour que chacun distingue ce qu’il y a d’utile et de praticable dans les plans de réforme à l’ordre du jour.


I. — LES PRINCIPES.

La science agronomique repose sur des principes d’une merveilleuse simplicité. L’existence, la santé des végétaux, comme celles des êtres animés, dépendent surtout de l’alimentation. Des quatre substances nécessaires à la nutrition des plantes, l’oxigène, l’eau, l’acide carbonique et l’azote, il en est trois qui sont ordinairement fournies par la nature en quantité suffisante. L’acquisition de l’eau n’augmente qu’exceptionnellement les frais de la culture. Il n’en est pas ainsi de l’azote. Livré en petite quantité par l’atmosphère, produit surtout dans le sein de la terre par l’enfouissement naturel ou artificiel des débris en putréfaction, son abondance plus ou moins grande est la mesure de la richesse du sol. Chaque fois que le laboureur ajoute à la vieille force de son champ une certaine dose de matières propres à l’engraisser, il peut calculer dans quelle proportion il a chance d’augmenter sa récolte. L’opération fondamentale de l’industrie agricole est donc l’achat de l’engrais à des conditions avantageuses, c’est-à-dire à un prix tel