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talens. Le peuple était donc réduit à chercher dans les familles nobles ses chefs et ses guides. Il y a sans doute en Lombardie des hommes capables de conduire la nation, à travers mille dangers, sur la voie des révolutions et des combats, vers la liberté et l’indépendance ; mais leurs noms sont ignorés du peuple, tandis que ceux des nobles familles qui acquirent leur célébrité quelques siècles avant nous sont dans toutes les mémoires. C’est vers ces familles, nous le répétons, que le peuple a dû se tourner d’abord. Parmi les nobles lombards, quelques-uns, non entièrement étrangers aux affaires, étaient connus pour leur attachement à la maison d’Autriche. D’autres, en plus grand nombre, témoignaient depuis long-temps une profonde aversion pour la puissance autrichienne ; mais, contraints par cette aversion même de se tenir éloignés des affaires, ils menaient une vie frivole et dissipée, et paraissaient incapables de diriger une administration. Ce fut donc aux plus libéraux parmi les premiers, aux moins frivoles parmi les seconds, que la nation accorda sa préférence ou plutôt son adhésion tacite.

Le comte Casati était podestat de Milan depuis six ans, ce qui signifie qu’il avait été réélu deux fois, et qu’il avait vécu en bon accord avec l’Autriche pendant tout ce temps. Le comte Borromeo, décoré de la Toison d’or, occupait plus d’une fonction à la cour de Vienne. L’un et l’autre de ces hommes, qui, avant l’année 1848, avaient toujours vécu en paix avec le gouvernement impérial et la police de Milan, s’étaient enhardis, peu de temps avant les événemens de mars, jusqu’à présenter quelques observations au gouverneur comte Spaur au sujet des actes d’inexplicable brutalité que lui-même ou ses collègues venaient de permettre ou d’ordonner aux soldats croates. Le gouvernement autrichien de Milan était en ce moment en proie à une sorte de fièvre : toute représentation, toute opposition, quelques ménagemens qu’on mît à les exprimer, lui étaient insupportables. MM. Casati et Borromeo reçurent d’abord l’ordre de se taire ; puis, sans même leur laisser le temps de résister ou de se soumettre, l’on passa aux menaces, aiix persécutions, à l’ordre d’exil et même d’arrestation. Loin de moi la pensée d’atténuer le mérite de la résistance de MM. Borromeo et Casati. Dans les quelques semaines qui s’écoulèrent entre leur rupture avec le gouvernement autrichien et la révolution milanaise, l’un et l’autre firent preuve de courage et de fermeté, le comte Borromeo surtout, qui refusa constamment, malgré des injonctions impérieuses et réitérées, de quitter Milan.

Telle était l’attitude de ces deux fonctionnaires lorsque l’insurrection, ayant renversé tout l’édifice de l’administration autrichienne, ne laissa debout que les autorités municipales dont M. Casati était le président. Le gouvernement provisoire qui se forma alors se plaça tout naturellement sous sa présidence. Le comte Borromeo se trouva aussi, et par la même raison, appelé au pouvoir. Le comte Durini, ancien podestat