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éteignant l’antagonisme dont elles sont malheureusement animées les unes contre les autres. On n’atteindra ce but qu’en plaçant au gouvernement des colonies des hommes d’une impartialité reconnue et sans liens avec les partis.

Dans l’ordre économique, des mesures, non plus importantes, mais plus grandes, sont aussi à prendre.

Nous citerons en première ligne une législation réellement répressive du vagabondage et de la mendicité. Qu’on ne le perde pas de vue : on fait cesser un ancien état de choses, sans que rien soit prêt pour lui en substituer un nouveau. On ne peut exiger de la population noire qu’elle se modifie aussi promptement que la législation. Elle va donc arriver à la liberté avec toutes les habitudes vicieuses contractées dans la servitude. Elle sera dissipée, insouciante, imprévoyante, intempérante et désordonnée. Elle se soumettra difficilement à une vie régulière, recherchera dans l’oisiveté les jouissances de son indépendance nouvelle, ne supportera les charges de l’homme libre que dans la limite la plus restreinte de ses besoins journaliers, n’attachera aucun caractère sérieux aux contrats qu’elle fera avec ses anciens maîtres, les formera par caprice et les rompra de même. Il faut donc s’attendre à voir se multiplier, dans des proportions considérables, tous les manquemens, tous les délits, qu’enfantent la paresse, le vagabondage et la mendicité. Un décret, en date du 27 avril, a été rendu pour armer l’autorité contre de pareils désordres ; mais est-il suffisant ? Il se borne à déclarer que tous mendians, gens sans aveu ou vagabonds, seront mis à la disposition du gouvernement pour un temps déterminé, dans les limites de trois à six mois, selon la gravité des cas. Deux conditions essentielles manquent à cet acte pour qu’il ait d’utiles effets : la première est une définition du vagabondage ; la seconde est la fondation dans chaque colonie d’ateliers disciplinaires.

La première de ces lacunes prouve évidemment qu’on se réfère, pour caractériser le délit du vagabondage, à la définition du code pénal, déclarant vagabonds ou gens sans aveu ceux qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance, et qui n’exercent habituellement ni métier, ni profession. Le délit ainsi défini, peut-on raisonnablement espérer une répression efficace ? Nous ne le pensons pas. Le noir vit de peu ; sur le sol si fécond des colonies, il peut, en remuant la terre quelques instans par jour, se procurer ce qui est nécessaire à sa subsistance. Il s’abrite avec aussi peu de frais, en se créant un abattis sur la partie abandonnée d’une habitation ou sur des terrains vagues, et personne ne songe à lui contester ce domicile. Il échappera encore à l’application du code pénal, en se livrant à ces mille petites industries des villes, telles que celles de commissionnaire, de portefaix, de batelier, dont il ne prendra que ce qui est nécessaire pour assurer sa