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nécessaire sans doute d’augmenter les juridictions ou d’en créer de nouvelles, au moment où la population des justiciables s’accroît du double ou du triple. Les délits et les contraventions vont se multiplier. Les relations des ouvriers avec les chefs d’entreprise ou d’exploitation, leurs contrats, les coalitions qui se formeront entre les travailleurs ou entre les propriétaires, les troubles que de part et d’autre ils peuvent susciter au travail, donneront naissance à des désordres et à des contestations nouvelles dont un tribunal spécial peut seul être saisi. Comment a-t-on pourvu à ce besoin ? En attachant à chaque justice de paix un jury composé de six membres, tirés au sort sur les listes électorales des communes du canton. Feront partie de ce jury, au nombre de trois, les citoyens qui possèdent ou qui exercent une industrie, et pareillement au nombre de trois, les travailleurs industriels ou agricoles. Ce tribunal jugera sans appel, si la condamnation n’excède pas 300 francs ; au-delà de cette somme, l’appel pourra être porté devant le tribunal d’arrondissement. La peine pour le cas de coalition est d’une amende de 20 à 3,000 francs, et le décret a soin de déclarer que les articles 414, 415, 416 du code pénal ne sont plus applicables.

La composition de ces tribunaux n’offre aucune garantie sérieuse à la justice. Avec l’esprit de caste qui s’y disputera l’influence, avec les préventions favorables ou contraires que, suivant la couleur et la position des justiciables, les membres de ce jury porteront dans l’appréciation des faits, avec l’ignorance de la plupart d’entre eux, on ne peut espérer de cette institution aucun bon résultat. Ce qui nous étonne le plus dans les dispositions de ce décret, c’est la substitution de l’amende, pour le cas de coalition, à l’emprisonnement et à la surveillance de la haute police, que prononcent les articles abrogés du code pénal. La condamnation pécuniaire ne sera-t-elle pas complètement illusoire, quand elle frappera les ouvriers ? C’est vraiment décréter que, pour ce délit, il n’y aura de répression réelle que contre les maîtres.

Enfin, deux autres décrets complètent la série des mesures prises par le gouvernement : l’un ouvre, sous la dénomination d’ateliers nationaux, des ateliers de travail pour recevoir les individus sans emploi ; l’autre met à la disposition de l’administration, dans la limite de trois à six mois, selon la gravité des cas, pour les faire travailler au profit de l’état, les mendians, les gens sans aveu et les vagabonds.

Nous venons d’analyser sommairement les actes qui ont accompagné dans nos colonies le grand fait de l’abolition de l’esclavage. Vainement on y cherche la trace de ces vives préoccupations dont était animé le parlement anglais, lorsqu’il accomplissait dans les possessions britanniques la même mesure. On n’y trouve rien qui témoigne de cette sollicitude prévoyante du législateur, qui veut qu’une réforme porte avec elle un germe fécond de bien-être et de progrès, et non le trouble et le désordre ; rien qui prouve qu’en remplissant un devoir d’humanité