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ne doutèrent pas des terribles effets qu’il devait avoir. L’abolition de l’esclavage était proclamée en droit, et la commission avait pour unique mandat de délibérer sur le mode d’exécution. C’était une grande faute. Il était naturel de prévoir que les noirs, entendant ce cri de délivrance qui leur venait de la métropole, seraient saisis d’impatience et devanceraient les ordres du gouvernement. L’insurrection des ateliers était donc en quelque sorte provoquée par cet acte imprudent. Comment se traduirait-elle, coïncidant dans nos possessions d’outre-mer avec le changement d’administration qu’entraînait nécessairement l’avènement de la république ? Il était facile de le dire à l’avance : par le meurtre, l’incendie et le pillage. N’aurait-il pas été plus sage de réunir à huis-clos cette commission, de lui faire élaborer silencieusement toutes les dispositions propres à ménager, autant que possible, la transformation pacifique de l’ordre social aux colonies, et d’attendre que tout fût prêt, avant de déclarer solennellement l’émancipation ? On aurait ainsi évité que le berceau de la liberté de la race noire fût souillé des atrocités qui ont été commises à la Martinique ; mais il était dans la destinée des hommes du 24 février, issus d’une révolution, de ne pouvoir même faire le bien sans y laisser l’empreinte d’une violence !

La commission, nous le reconnaissons, a eu le sentiment de cette funeste imprudence, car elle a mis la plus grande hâte dans ses travaux. Le résultat ne révèle que trop cette précipitation. Le 3 mai, elle a rendu compte de sa mission au ministre de la marine, et, dès le 27 avril, le décret qui abolissait de fait l’esclavage dans nos possessions d’outre-mer avait paru. Cet acte était accompagné d’une série de mesures ayant pour objet certaines précautions contre les désordres qu’un si grand événement pouvait occasionner. Nous allons examiner par quels moyens le gouvernement a pensé mener à bonne fin cette œuvre délicate.

Il existe dans la population esclave un certain nombre d’individus pour lesquels la liberté n’est qu’un bienfait purement théorique, et qui n’ont pas le sentiment moral assez développé pour en jouir même platoniquement : ce sont les enfans et les vieillards. Le chiffre des individus des deux sexes au-dessous de quatorze ans est, pour la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane française et la Réunion, de 69,870 ; celui des vieillards au-dessus de soixante ans est de 14,172. Nous admettons que, dans la première catégorie, un quart seulement exige une sollicitude spéciale de la part de l’administration, car, au-dessus de huit à dix ans, un jeune noir peut commencer à gagner sa vie. C’est donc, y compris les vieillards et les infirmes, 30,000 individus dont le sort était à régler, si l’on ne voulait pas que leur affranchissement devînt pour eux une cause de misère et de souffrances. Il était d’autant plus essentiel d’y pourvoir, que c’est à peine si on a commencé à créer la famille dans nos ateliers coloniaux. Comment a-t-on satisfait à ce besoin ? En décrétant que les vieillards et les infirmes seront conservés