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déconcertait les projets des démagogues et des aristocrates, le désir d’une explosion violente croissait davantage chez ceux dont cette sagesse dérangeait les combinaisons. La haine des Tchèches de la classe inférieure contre les Allemands avait absolument besoin de se faire jour. La camarilla d’Inspruck apercevait enfin que les Slaves n’avaient pas la fidélité désintéressée des Tyroliens, et qu’ils mettaient à leur loyauté un plus haut prix qu’on ne pouvait l’acheter ; elle leur gardait rancune de leur libéralisme. Le ministère de Vienne ne leur pardonnait pas de correspondre avec Inspruck pour se dérober à l’union allemande et à la subordination autrichienne. Les agens russes brochaient sur le tout, semant, en haut comme en bas, l’or et la division. Le congrès slave, organe et centre de la propagande tchèche, devait, plus à tort qu’à raison, supporter la responsabilité d’une insurrection nationale arrangée en dehors de lui, et peut-être contre lui, par des impatiences aveugles, sinon soudoyées. Il lui revenait pourtant aussi sa part de complicité ; il avait imprimé une impulsion qu’il n’était plus maître de retenir : s’il y eut des forces sincères et généreuses perdues dans ce soudain élan, c’est à lui le tort de les avoir ainsi surexcitées. Plus d’un membre du congrès se mêla sans doute à la bataille aussitôt qu’elle fut engagée, et l’ardeur du sang slave le jeta tout de suite dans les rangs de ceux qui avaient sciemment à eux seuls préparé cette bataille déplorable. Nous ne parlons pas des grands seigneurs qui avaient probablement rêvé la conquête d’une couronne : c’est un des plus singuliers contrastes dans ce pays où ils abondent, qu’on y puisse encore rencontrer des oligarques tout pareils à ceux de la guerre de trente ans, côte à côte avec des républicains radicaux, selon la dernière mode de Paris.

L’insurrection se fit aussi à la manière parisienne : voulue, cherchée systématiquement par les rebelles ; prévue, acceptée par l’autorité militaire. L’Autriche fut sauvée, à Prague comme en Lombardie, par un capitaine abandonné presque à lui-même. Dans l’universel désarroi de son administration, l’Autriche a eu le bonheur de retrouver encore deux soldats de la vieille école, le maréchal Radetzky et le prince Windisch-Grätz. La guerre s’annonçait à des signes certains. Le cafetier Faster étalait avec plus d’audace son costume antique ; ses filles conduisaient derrière lui l’escadron des amazones tchèches ; mascarade soit, mais une mascarade qui précédait une tragédie. La Swornost, qui s’était opiniâtrée à marcher hors des rangs de la garde nationale, manœuvrait avec plus de constance ; la Slavia des étudians rivalisait de zèle. Faster poussait les ouvriers à faire grève ; il en appelait en masse de la campagne et de la province. Les imprimeurs sur coton couraient les rues en menaçant de briser les machines ; les étudians restaient dans la ville, au lieu de s’en aller aux vacances de la Pentecôte, suivant la coutume académique. Les plus pauvres, surpris sans argent par