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Que se disait-il dans ce congrès tenu par des étrangers, au beau milieu d’un pays qui relevait de l’Allemagne, et où il y avait moitié d’Allemands ? C’était assurément de quoi piquer la curiosité, de quoi éveiller les craintes du patriotisme germanique. Par malheur, on ne parlait au congrès qu’en langue slave, et l’on en bannissait quiconque n’était pas Slave lui-même. Il ne devait y avoir que les résolutions générales qui fussent publiées en allemand. Jusque-là, ces débats demeuraient à peu près lettre close, et l’on croyait entrevoir sous ce mystère une vraie conspiration contre l’Allemagne, une trame à la fois aidée par la camarilla d’Inspruck et par la démagogie de Prague, conduite et peut-être exploitée par des ambitions individuelles, qui espéraient tromper et la cour et la populace pour fonder un grand état national. C’était du moins un magnifique rêve qu’on leur prêtait. Un empire slave qui couvrît tout l’espace entre les monts des Géans et les Karpathes, entre l’Adriatique et le Balkan ! Une fédération constitutionnelle des états unis d’Autriche, livrée sans contre-poids à l’ascendant de l’immense majorité slave, qui pèserait ainsi à son tour sur les provinces allemandes des Habsbourg, et les réduirait à n’être plus qu’une autre Alsace pour ce vaste pays de la Slavie occidentale ! Le congrès devait d’ailleurs se dissoudre dans un assez bref délai, et instituer seulement un comité pour agir à sa place ; les mouvemens de la Croatie lui retiraient, en effet, un grand nombre de ses membres. Il disparut plus vite encore qu’on ne l’avait pensé dans l’insurrection définitive de Prague, au lendemain de la Pentecôte, sanglante échauffourée dont on l’accusa d’être l’auteur, et dont il fut surtout la victime. Les papiers de l’association furent alors saisis, et ses projets étouffés. Nous pouvons cependant en reconstruire quelque chose, grâce aux notes incomplètes qui ont transpiré, grâce aussi aux souvenirs plus directs que nous tenons en particulier d’un des membres du congrès.

Le principe fondamental du congrès fut posé par Schafarik à peu près en ces termes : Les députés assemblés des communes et des nations slaves en Autriche, y compris les terres de la couronne de Hongrie, forment une seule union pour la défense de leur nationalité dans le plein sens du mot là où ils ont des droits nationaux, pour la conquête de ces droits là où ils en sont encore privés ; en face d’un pareil but, ils emploieront à l’atteindre tous les moyens avec lesquels on peut valablement, dans une société régulière, protéger des droits naturels. — Le premier pas et le plus essentiel dans la pratique de ce principe nouveau, c’était d’engager ces nations elles-mêmes à fraterniser entre elles sur le pied de l’égalité. Si grande que fût la difficulté d’une telle réconciliation, tout paraissait marcher au succès dans cette heure d’enthousiasme. Les différentes branches de la famille se faisaient à l’envi des concessions et des sacrifices. Ainsi la section illyrienne, où la Russie