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notre sang pour lui, qui a reconnu les droits nationaux de ses peuples ! et on le suppliait d’ouvrir en personne les prochains états de Bohême, « la première diète que dût éclairer le soleil de la liberté. » Cette adresse fut portée à Inspruck par une députation nombreuse, qui, à peine arrivée, essaya d’entraîner le Tyrol dans l’esprit séparatiste de la Bohême. «Tyroliens, disait une autre adresse datée d’Inspruck, le 23 mai, et signée du prince Camille de Rohan, chef de la députation, Tyroliens, l’empereur est au milieu de vous ; le peuple de Bohême nous envoie lui renouveler l’assurance de sa fidélité. Il est prêt, ainsi que vous, à verser son sang aux pieds de celui qui nous a donné la liberté à tous. Frères, unissons-nous tous, et défendons, fortifions l’indépendance et l’unité de l’empire autrichien. Dieu nous a placés comme il l’a fait afin que nous pussions nous serrer autour de notre trône comme autour d’une citadelle. Liberté de l’Autriche, unité de l’Autriche, amour et fidélité à notre empereur, que ce soit là notre commune devise ! Vive Ferdinand le bon ! Vive la maison de Habsburg ! »

Ce n’était point en poussant ainsi la croisade contre Francfort que l’on dépêchait beaucoup les élections. La propagande tchèche qui travaillait les campagnes et les villes de province, pour se faire avec moins d’éclat, n’était ni moins active ni moins efficace. Les émissaires qui partaient de Prague avec huit ou dix florins par jour, en général des étudians de l’école des arts ou de l’école de médecine, s’en allaient jusqu’en Moravie et en Silésie prêcher le futur empire slave, et jetaient à foison les brochures patriotiques, comme, par exemple, le Gémissement douloureux de la vieille couronne de Bohême, un ardent appel aux souvenirs nationaux, qui mêlait fraternellement les noms des héros tchèches, Przemislas, Ottocar, Népomucène, avec les noms sacrés de la Moravie, Libuscha et Sojatopluck. Le clergé secondait ces efforts qui procédaient pourtant d’une autre idée que la sienne. Un prêtre paraît à la réunion électorale d’un village de Moravie ; il parle en allemand ; les paysans ouvrent de grand yeux. «Vous ne me comprenez donc pas ? dit-il à la fin en slave. Eh bien ! puisque vous ne parlez pas allemand, attendez donc qu’il y ait quelqu’un parmi vous qui ait appris l’allemand pour l’envoyer à Francfort. » Ce seul mot de Francfort était devenu un épouvantail ; la ville impériale passait à la fin pour une espèce de monstre qui devait dévorer tout ce qui n’était pas Allemand. Les Allemands, assurait-on aux campagnards, ne payant pas de droits féodaux, voulaient à toute force obliger les Tchèches à les payer pour eux ; ils voulaient leur prendre leur langue, et les pauvres gens se demandaient quel était ce seigneur Francfort qui prétendait donner des ordres à leur empereur ou s’asseoir sur son trône.

Comme le clergé, l’antique et riche aristocratie bohème faisait cause commune avec les propagandistes démagogues. La terre de Bohême