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pour son ventre. Il n’a rien d’ailleurs contre ses frères allemands de Bohême, rien du tout. Quand le Tchèche piaille comme un moineau franc contre les Allemands, il ne pense point à ceux de la Bohême, mais aux damnés étrangers, le diable les prenne ! » — Il y avait aussi des chansons populaires qui couraient les rues et qui traduisaient la passion du jour avec cette verve grossière où l’on sent la prédominance des appétits matériels, si puissans chez cette race gloutonne. « La nouvelle chanson sur le parlement allemand. — Schuselka nous écrit de son royaume germanique que nous devrions bien donner un peu d’aide aux Allemands, parce que le ventre leur fait mal. O grands lourdauds d’Allemands ! c’est vous qui avez trempé votre soupe, vous l’avalerez comme vous pourrez. L’Allemagne vous appartient, mais la Bohême est à nous : ne venez pas souffler de Francfort dans notre bouillie slave. Comme Francfort tremblera d’effroi et nous tirera son bonnet quand le lion bohème dressera sa crinière et se battra les flancs de sa queue ! Oui, festina lenté, nouveau parlement, nous allons t’apprêter un purgatif. Attends seulement, sapperment ! » Pour un poète de carrefour, cette image vulgaire de la voracité conquérante des ambitions germaniques n’était pas si mal inventée.

L’ambition slave d’ailleurs, ainsi surexcitée, n’en restait pas à des chansons. Le mois de mai 1848 devait être un grand mois pour toute la Slavonie. Elle allait, croyait-on, se lever en masse, le 14, de l’Adriatique à la mer Noire, et s’établir dans sa capitale de Belgrade, Belgrade ou plutôt Prague, car il en était de moins rêveurs qui voulaient d’abord attendre qu’on possédât à Prague l’héritier présomptif de la monarchie, l’archiduc François-Joseph, un jeune homme de dix-neuf ans ; puis, un mouvement combiné des radicaux et des Slaves qui résident à Vienne enlevant l’abdication de Ferdinand et le désistement de François-Charles, l’avènement du nouvel empereur serait proclamé du Burg de Marie-Thérèse ; la circonstance amènerait la cour et le cabinet dans la vieille ville tchèche, qui ne laisserait plus rien partir, une fois qu’elle tiendrait tout. Le jeune César rallierait alors les Slaves de la Hongrie, de la Serbie, de la Valachie, de la Moldavie ; il abandonnerait l’Italie et la Gallicie pour se faire bien venir en Europe ; un pacte panslaviste l’unirait aux Russes, et l’on briserait les dents aux Allemands. Palazky et ses doctes confrères en slavisme se chargeraient d’achever l’éducation slave du souverain de la nouvelle Autriche.

Il y avait presque déjà un commencement de réalité qui encourageait ces belles imaginations : Schafarik d’abord, et sur son refus Palazky avait été désigné pour le portefeuille de l’instruction publique dans ce moment de crise ministérielle qui suivit à Vienne la chute du comte de Ficquelmont et précéda la fuite de l’empereur. M. de Pillersdorf, sur qui retombait, en ces jours-là, toute la responsabilité du