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comme la grêle et qui ont sablé ces vastes contrées d’une teinte uniformément gris-noir comme la peau raboteuse d’un crapaud ; toujours une ligne droite ou régulièrement ondulée de collines arides ; quelquefois, dans le lointain, les pics majestueux et nus du Liban, comme un gigantesque squelette qui paraîtrait à l’horizon ; toujours un ciel pur et d’un azur foncé vers le haut, vers le bas d’un ton lourd et écrasant, plus terreux et plus livide à mesure qu’on approche davantage du désert. Qu’on se figure au milieu de cette désolation trois ou quatre mille chameaux blancs, roux et noirs mangeant gravement les herbes sèches et dispersés dans la plaine comme autant de petites taches ; un camp de Bédouins composé de vingt ou trente tentes noires, toutes noires, en poil de chameau, agglomérées sans ordre ; quelques femmes ayant pour tout vêtement une chemise bleue et une ceinture en cuir ; puis près de vous, si vous voyez un homme poussant ses chèvres ou ses moutons, c’est quelque chose de sec et de fier, couleur de pain bis, avec une chemise, autrefois blanche, serrée d’une ceinture de cuir, recouverte d’un manteau en laine à trois larges raies bleues du haut en bas, la tête enveloppée d’un mouchoir de soie jaune et entourée d’une corde en poil de chameau. C’est là l’habitant de la partie déserte de la Syrie et de la Judée. — Plus près de la mer, ce sont des villages blancs en terre avec des terrasses pour toits et pour maisons des carrés de dix pieds et des portes de trois pieds de haut, là dedans logent les paysans… Tout cependant n’est pas comme cela. Quelquefois on trouve une belle source, grosse à l’endroit d’où elle sort comme votre Durolle ; alors à ses alentours se déploie la plus riche végétation qu’on puisse imaginer. Sur un rideau d’un vert brillant et pur, fermé par les vignes et les orangers qui se mêlent et s’entrelacent, on voit scintiller le rouge sémillant de la grenade, qui s’ouvre pour offrir, la coquette ! ses charmes aux voyageurs, et s’étaler la feuille large el luisante de la banane avec ses longues grappes de fruits, et dans le fond, plus loin, le gris vert de l’olivier, placé la comme pour reposer les yeux de tant d’objets splendides.

« Sous ces charmans fouillis de végétation, une halle de Turcs avec leurs chevaux arabes attachés aux arbres. Les hommes sont assis à leur manière sur leurs tapis et fument gravement la pipe ou le narguilhé. Nous faisons quelquefois partie du tableau. Moi armé de mon carton à dessiner, le cuisinier en train de faire cuire une mauvaise poule et un peu de riz, et là-bas, dans la campagne, le docteur prussien avec son havresac passé derrière le dos et attaché si court, qu’il semble faire l’office de collet ; de ce havresac sortent des pinces, des marteaux, un voile à papillon. Quant à la tête, elle est coiffée d’un chapeau de paille hérissé de lézards, de mouches, de scarabées, d’insectes de toute sorte ; pour les jambes, elles s’engloutissent dans d’immenses