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un pied d’égalité absolue dans la jouissance des institutions démocratiques, il assurait la prépondérance à celle qui disposait des plus nombreux suffrages. En fait, et par la pratique, les Tchèches gagnaient même tout de suite plus que l’égalité. Le rescrit du 8 avril établissait sans réserve que tous les employés de l’état devraient en Bohême parler les deux langues. L’obligation qu’on avait faite aux Tchèches d’apprendre la langue allemande tournait maintenant au désavantage de l’Allemand lui-même, qui ne s’était jamais familiarisé avec la langue tchèche. Il se trouvait ainsi des districts tout germaniques, le cercle de Leitmeritz, celui de Saatz, celui d’Elbogen, où l’on ne devait jamais voir que des fonctionnaires tchèches. Puis, à l’inverse de l’ancien état de choses, la Bohême aurait donc des écoles exclusivement tchèches, et n’en aurait point qui fussent exclusivement allemandes. Le rescrit accordait enfin cette autorité particulière et responsable que les pétitionnaires du 11 mars voulaient installer à Prague pour être gouvernés en dehors de l’ensemble général des états autrichiens, et les Allemands de la Bohême, qui font les deux cinquièmes de la population, se sentaient par là comme retranchés de la mère-patrie. Les Allemands s’apercevaient un peu tard que la révolution de Vienne, que l’agitation de Prague, servaient avant tout cette nationalité dissidente qui n’avait cessé, depuis des années, de se préparer à la résurrection et d’en épier le moment. Il était clair que c’était surtout la portion tchèche des habitans de Prague qui s’était spontanément mise au lieu et place du pays entier dans l’affaire des pétitions. Il fallait bien avouer que c’étaient des Tchèches organisés de longue main qui avaient provoqué la réunion du 11 mars : il ne manquait presque pas un bourgeois tchèche aux Bains de Wenceslas ; il y manquait beaucoup d’Allemands. Les Allemands de Prague s’étaient laissé déborder dans tout ce mouvement public par leurs concitoyens tchèches, plus nombreux, plus énergiques, appuyés à la fois par le dilettantisme érudit ou par l’orgueil national des aristocrates, et par la misère menaçante, par les aveugles rancunes des classes pauvres.

Bientôt il ne fut plus question que d’un établissement national pour la Bohême, d’une indépendance constituée qui l’arrachât à l’Allemagne. Les Allemands commencèrent à se plaindre qu’on les terrorisait, et le mot passa dans la longue liste des griefs qu’ils gardaient par devers eux contre les Tchèches. A Prague, si l’on en croit leurs récits, ce fut dès-lors un crime de n’être pas tout dévoué de paroles et de cœur à cette nouvelle patrie qui venait de ressusciter au milieu des ébranlemens du vieil empire ; on n’osa plus porter les couleurs allemandes. Des émissaires furent jetés dans toutes les villes, dans tous les villages de la Bohême, pour échauffer les esprits et prêcher une sorte de guerre mainte, une autre guerre des hussites. Dehors les Allemands ! c’était le