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comité national et par tout conduire en pesant sur toutes les autorités : le comte Stadion chercha plus à lui complaire qu’à lutter contre elle. Maurice Deym, capitaine de la ville, un patriote tchèche, briguait aussi à sa guise l’assentiment populaire ; il se démettait de sa charge pour en obtenir la confirmation du libre suffrage de ses concitoyens, et il terminait ainsi la lettre dans laquelle il le sollicitait : « Vive notre bon roi Ferdinand, le restaurateur de la constitution ! Vive notre belle ville de Prague ! Vive la publicité ! Un sincère et solide pereat pour tous les tripotages clandestins ! » En même temps paraissait, comme à Vienne, une foule de caricatures et de feuilles volantes. Les libraires s’arrachaient les écrivains politiques pour publier de nouveaux journaux : « Gazette constitutionnelle de Bohême, première gazette constitutionnelle pour le bourgeois et pour le paysan, etc. » L’archevêque, enfin, gourmandait dans ses pastorales ceux de ses curés qui abusaient de la chaire pour faire des sorties contre la constitution. Il n’y avait pas à jouer avec cet unanime entraînement : on allait bientôt s’en convaincre à Vienne.

Les députés de Prague revinrent, le 27 mars, rapportant la réponse impériale encore mal connue ; on leur avait préparé une réception magnifique. Les maisons étaient ornées de tentures et de drapeaux blancs et rouges. Les étudians de la faculté de droit et une division de la Swornost formaient la haie. Devant les députés marchaient les grenadiers bourgeois, la Swornost, les étudians slaves de Vienne, et, avec eux, au milieu de leurs deux porte-étendards, un Serbe dans son costume blanc, puis de petits enfans avec des écharpes rouges et blanches, noires et blanches, des fleurs et des drapeaux, puis douze jeunes filles en robe de satin blanc. Les voitures des députés étaient couronnées de lauriers ; derrière s’avançaient le clergé de toutes les communions, le sénat académique, les corps armés des bourgeois et des écoles. Les cloches sonnaient, les boîtes partaient, les dames agitaient leurs mouchoirs. On entendait le cliquetis des armes, et tout le monde criait : Slawa ! Slawa ! Cette fête ressemblait beaucoup plus au triomphe exclusif d’une nationalité qu’à une démonstration purement politique en l’honneur d’un succès commun aux deux races ; mais les Allemands de Prague n’eurent pas le loisir de la réflexion. La réponse de Vienne, placardée au coin des rues pendant la cérémonie, déconcerta la joie populaire avant qu’on en eût bien clairement démêlé le fond. Plus l’espoir avait été considérable, plus on sentit la déception qui suivait : ce fut comme une victoire manquée sur un ennemi qu’on croyait vaincu. Les députés trouvèrent aussitôt devant eux de tout autres physionomies ; on les accabla de reproches. Du matin au soir, la ville avait pris un aspect de deuil au lieu d’un air d’allégresse : les boutiques se fermèrent, les étudians coururent les rues, criant qu’on éteignît les illuminations, et