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signer, comme pour détourner l’orage dont on a peur par ce procédé pacifique, le trait d’audace de la semaine d’avant. C’est que l’on craint, sans pouvoir s’en cacher, les prolétaires de la ville et le bas peuple de la campagne. On sait que, depuis quelques jours, les ouvriers du Karolinenthal se font lire les manifestes de leurs frères de Paris. La révolution est dans l’air. Les bourgeois s’organisent en compagnies ; les élèves de l’école polytechnique et de l’université forment un corps franc, les gens de lettres et les artistes un autre ; les juifs se présentent pour entrer dans tous. Prague, dégarnie de troupes, n’a d’autre défense que sa population. Les étudians veulent avoir leur pétition à part et s’adresser eux-mêmes à l’empereur tout comme les bourgeois : ils réclament d’emblée les libertés politiques de ce temps-ci et les privilèges académiques du moyen-âge, sans oublier des tribunaux d’honneur pour empêcher les duels, et des établissemens de gymnastique pour s’instruire aux mâles vertus. L’administration municipale se fait à toute vitesse progressive et réformiste. Nous n’avons eu rien de mieux chez nous. Le digne bourguemestre, de son état conseiller d’appel, déclare qu’il renonce à sa charge impériale, afin de garder plus exclusivement l’unique honneur d’être le libre magistrat de la libre ville de Prague. Il réservait pourtant quelque chose dans l’approbation qu’il donnait à la pétition du 11 mars. — « Vous ne savez donc pas, lui crie-t-on, tout ce qui se passe à Vienne ? » Il signe des deux mains.

Ce fut, dans les premiers jours, un enchantement de tout le monde à propos de tout, tel qu’on le remarque d’ordinaire au lendemain des grandes émotions publiques, ce qui signifie simplement la joie qu’on a de n’en être pas plus malade, et pourrait bien s’appeler la lune de miel des révolutions. On se félicitait d’avoir enfin secoué la chape de plomb du Prince Minuit (Furst Mitternacht). Le comte Buquoy venait justement de versifier cette moquerie à l’adresse du prince de Metternich, qui s’en allait alors par le chemin de fer de Bohême, seul comme un monarque déchu. On s’extasiait sur le noble cœur du débonnaire César, enfin débarrassé de son ministre, et l’on s’obstinait à lui faire un mérite particulier d’avoir devancé les orgueilleux Prussiens dans la voie du progrès constitutionnel. L’Autriche ne devait plus marcher désormais qu’à pas de géant. On avait bien sans doute en Bohême l’embarras du prolétariat dans les villes de fabrique et des corvées dans la campagne, mais on remédierait à tout par la fraternité. Ne voyait-on pas maintenant les conseillers de la régence et les membres des plus hautes familles monter la garde et patrouiller par les rues comme les plus obscurs bourgeois ? Tel comte avait déjà libéré ses paysans, tel autre partageait 5,000 florins aux pauvres honteux de Prague, à la seule condition de prier pour l’empereur ; un industriel abandonnait à ses ouvriers l’argent qu’il leur avait avancé pendant