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muette qui se pressait aux abords du lieu de réunion, soit du tapage, des chants et des rires de la soldatesque enivrée qui les regardait par les fenêtres des casernes où on l’avait consignée. La salle pleine, un certain Faster, un cafetier que nous allons retrouver tout le long de cette histoire, donna lecture, en langue tchèche, des différens articles qu’il proposait de comprendre dans la pétition. Égalité des deux races à l’école, devant la justice et devant l’autorité ; obligation pour tout employé de parler les deux langues ; fusion de la Bohême, de la Moravie et de la Silésie, garantie par l’unité d’une diète commune qui se tiendrait tantôt à Prague et tantôt à Brunn ; élargissement des bases de la représentation nationale ; administration élective et indépendante pour les municipalités et pour les revenus municipaux ; oralité et publicité des débats judiciaires ; liberté de la presse absolue ; une chancellerie responsable siégeant à Prague ; l’armement du peuple ; suppression des droits féodaux, des corvées, des justices privilégiées ; le service militaire obligatoire pour tous ; la liberté personnelle assurée ; l’égalité de toutes les confessions : tel était dans son ensemble un peu hâté le programme formulé par le citoyen Faster. L’auditoire applaudissait à tout rompre, Allemands et Tchèches confondus dans un même enthousiasme. On nomma par acclamation un comité chargé de rédiger l’adresse, et les comtes Deym, Thun et Buquoy, le savant Palazky, des docteurs en droit et en philosophie, se chargèrent de conduire à bonne fin l’idée du maître cafetier Faster, acceptant sans plus d’embarras cette initiative, à coup sûr, très démocratique. Il y eut bien quelques rumeurs au nom d’un banquier juif que le comité demandait à s’adjoindre, le libéralisme tchèche n’a pas encore tout-à-fait pris son parti d’aimer les juifs ; mais on réclamait l’égalité des cultes devant la loi : c’était le cas de prouver qu’on y tenait. Il était convenu qu’on aurait jusqu’au 15 mars pour signer la pétition : le 14, la révolution d’Autriche était accomplie.

Les pétitionnaires de Prague, raillés et menacés encore le matin de ce jour-là par les bureaucrates, le soir même, à l’arrivée du dernier convoi de Vienne, étaient salués comme des héros protecteurs. Le bourguemestre publiait affiches sur affiches, et tenait discours sur discours : prière aux bourgeois de descendre à leur poste pour la défense de la ville, de descendre même sans uniforme pour recevoir des armes et s’exercer aux manœuvres ; appel à tous les habitans de Prague, que l’on exhorte à veiller au salut de la famille et de la propriété, que l’on supplie de s’abstenir du moindre tumulte, que l’on s’engage à pourvoir en masse de fusils et de piques, si besoin est. Point de désordre ; n’a-t-on pas la pétition du 11 mars pour porter ses vœux au pied du trône ? Celle-ci est maintenant déposée partout, à l’hôtel-de-ville, au cercle des nobles, à celui des bourgeois, à celui des marchands. Tout le monde court