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faux dans cette résurrection singulière, c’est peut-être l’érudition germanique, mais c’est plus certainement encore la diplomatie moscovite qui aura glissé là ce mauvais excitant.

Les Tchèches se sont particulièrement distingués entre toutes ces nations qui voulaient reprendre leur nationalité. La Bohême a été le centre littéraire d’où sont parties les premières tentatives. Palazky et Schafarik ont imprimé par leurs études ce grand mouvement dont ils ont peut-être un instant, l’autre mois, rêvé trop vite le triomphe. C’est de ce triomphe avorté que je voudrais pourtant esquisser le tableau. Il y a là cent jours d’alternatives qui mettent fort en lumière tout ce qui s’était amassé depuis trente ans d’idées et de passions nationales sur la terre frémissante des martyrs hussites. Il y a nombre de faits assez curieux qui donnent à ces idées et à ces passions une réalité très vigoureuse. D’ailleurs, tout ce détail est bon à consulter en dehors même des théories et des systèmes qu’on y pourrait accommoder : j’essaie de le reproduire sans en chercher beaucoup la philosophie ; la philosophie de l’histoire a trop souvent l’air d’avoir tort par le temps qui court.


I.

Dès le commencement de mars, le seul contre-coup des événemens de Paris avait amené à Prague une agitation extraordinaire. Dans les cafés et dans les auberges, il fallait chaque soir lire les journaux à haute voix. Les ouvriers, et particulièrement les imprimeurs sur étoffes, la classe la plus nombreuse, semblaient impatiens d’en finir, à leur tour, par quelque violence. Le mot fameux d’organisation du travail, qui leur arrivait de Paris malgré la distance, ce mot d’ordre hypocrite de la guerre civile échauffait aussi là-bas bien des têtes : les travailleurs de Prague ne sont pas encore revenus de cette aveugle colère que l’apparition des machines souleva jadis dans le peuple des fabriques. On craignait donc du trouble en bas, tout en attendant des concessions d’en haut. Partagée entre ces anxiétés et ces espérances, la bourgeoisie vivait au jour le jour dans une sorte de fermentation dont on ne se rappelait pas d’exemple.

Le 11 mars, à la veille de la révolution de Vienne, il y eut aux Bains de Wenceslas une assemblée publique qui était comme le premier symptôme de tout le mouvement et qui devait laisser de profonds souvenirs chez les habitans de Prague, naguère si paisibles. Invités d’avance par lettres anonymes à se réunir pour s’entendre sur les termes d’une adresse au gouvernement, les bourgeois s’étaient rejoints tellement quellement, mais en assez grande méfiance au sujet de cette convocation mystérieuse et fort inquiets, soit de l’attitude de la foule