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ordre de les mettre à Vincennes, et cela fut fait le même jour. » M. de Rovigo oublie de nous dire qu’après cet acte de vigueur le concile ne marcha pas davantage.

On conçoit sans peine tout ce qu’un gouvernement, dirigé par de tels principes, dut commettre de vexations, tout ce qu’il dut exciter, accumuler de répulsions chez tous ceux que la vie militaire n’absorbait pas ; or, il est bon que ce mauvais côté de l’empire soit aussi mis au grand jour, cela est bon de tout temps, et particulièrement dans un temps où l’anarchie, constamment suspendue sur nos têtes, menace encore une fois de dégoûter les hommes de la liberté, le plus précieux des biens, de la liberté, principal ressort de la vie sociale, sans lequel l’ordre n’est qu’une mécanique grossière qui s’use bientôt par le frottement.

Les Mémoires de M. de Chateaubriand nous montreront souvent le revers de cette brillante médaille de l’empire. On désirera peut-être quelquefois plus d’impartialité dans certains détails, une distribution plus équitable de la louange et du blâme, mais on sera forcé de reconnaître que tous les sentimens exprimés par l’illustre écrivain sont nobles et généreux. On aimera à le voir admirateur des grandes choses, ne laisser passer aucune iniquité, si petite qu’elle soit, sans la flétrir, dût-il exagérer un peu la part de responsabilité de Napoléon. Nul n’est despote sans encourir une immense responsabilité. Ainsi, dans un des plus beaux livres des Mémoires, dans le livre X, consacré à Mme Récamier, vous trouverez l’histoire d’un pauvre pêcheur d’Albano, injustement fusillé par ordre des autorités impériales, et dont la mort inspire à M. de Chateaubriand quelques lignes admirables : « Pour dégoûter des conquérans, dit-il, il faudrait savoir tous les maux qu’ils causent ; il faudrait être témoin de l’indifférence avec laquelle on leur sacrifie les plus inoffensives créatures dans un coin du globe où ils n’ont jamais mis le pied. Qu’importaient aux succès de Bonaparte les jours d’un pauvre faiseur de filets des états romains ? Sans doute il n’a jamais su que ce chétif avait existé ; il a ignoré, dans le fracas de sa lutte avec les rois, jusqu’au nom de sa victime plébéienne. Le monde n’aperçoit en Napoléon que des victoires ; les larmes dont les colonnes triomphales sont cimentées ne tombent point de ses yeux. Et moi je pense que, de ces souffrances méprisées, de ces calamités des humbles et des petits, se forment, dans les conseils de la Providence, les causes secrètes qui précipitent du faîte le dominateur. Quand les injustices particulières se sont accumulées de manière à l’emporter sur le poids de la fortune, le bassin descend. Il y a du sang muet et du sang qui crie : le sang des champs de bataille est bu en silence par la terre ; le sang pacifique répandu jaillit en gémissant vers le ciel : Dieu le reçoit et le venge. Bonaparte tua le