Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considérable qui, sans prétendre aux proportions d’une histoire complète, n’en forme pas moins une des parties les plus imposantes du monument que l’illustre écrivain laisse après lui. « Je trace, dit l’auteur, l’abrégé et le résumé des actions de Bonaparte ; je peins ses batailles, je ne les décris pas. » Cette phrase suffit pour indiquer comment M. de Chateaubriand a compris son travail sur Napoléon. C’est un résumé, mais un résumé dessiné largement et où la couleur abonde.

De même qu’il aimait à s’arrêter sur les détails de sa propre jeunesse, M. de Chateaubriand se complaît d’abord dans le récit des premières années de son héros, dans « l’histoire du Bonaparte inconnu qui précède l’immense Napoléon. » Ayant en main les cartons du cardinal Fesch qui contiennent les cahiers d’études du jeune officier d’artillerie, il y puise des détails curieux sur les idées, les goûts, les aptitudes du César futur, qu’il suit de Brienne à Valence, de Valence à Toulon, et de Toulon à Paris aux journées de vendémiaire. « Après vendémiaire, dit-il, Napoléon entre en plein dans ses destinées ; il avait eu besoin des hommes, les hommes vont avoir besoin de lui ; les événemens l’avaient fait, il va faire les événemens. Il a maintenant traversé ces malheurs auxquels sont condamnées les natures supérieures avant d’être reconnues, contraintes de s’humilier sous les médiocrités dont le patronage leur est nécessaire : le germe du plus haut palmier est d’abord abrité par l’Arabe sous un vase d’argile. »

Les campagnes d’Italie ne sont qu’esquissées, mais l’esquisse est d’un maître. Napoléon y apparaît dans la fleur de son génie, tour à tour général, administrateur, diplomate, philosophe, artiste, s’occupant du pape et du pacha de Scutari, des Maïnotes et du directoire, écrivant à Carnot d’admirables dépêches, et, entre deux batailles, préparant des plans de fête en l’honneur de Virgile et de l’Arioste, s’inquiétant des tableaux et des manuscrits de Venise, et veillant à la remonte de sa cavalerie ou aux fraudes de ses fournisseurs, «tout cela, dit M. de Chateaubriand, au milieu de l’Italie, devenue une fournaise où nos grenadiers vivent dans le feu comme des salamandres. »

Dans son récit de la campagne d’Egypte, M. de Chateaubriand, avec cette faculté d’association d’idées qui lui est propre, entremêle aux exploits de Bonaparte tous les grands souvenirs historiques ou épiques qui se rattachent à la terre des Pharaons. A chaque page, le héros moderne et ses lieutenans se croisent avec Sésostris, Alexandre, Ptolémée, Saladin, saint Louis, Renaud, Tancrède, et, au milieu de ce luxe d’évocations poétiques, l’historien n’oublie aucun de ces petits détails de mœurs qui aident à caractériser les hommes et les situations. « Dis à Ledoux, écrivait alors un maréchal-des-logis peu enthousiaste de l’Egypte, qu’il n’ait jamais la faiblesse de s’embarquer pour venir dans ce maudit pays ; » ce qui n’empêche pas nos soldats de battre des mains aux ruines