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« Monseigneur, y a-t-il quelque chose contre vous ? — Il n’y a rien, » répond le jeune homme, et il se laisse prendre. On l’enferme dans une chaise de poste ; en chemin, avec une candeur qui fait mal, il se console de sa mésaventure par la pensée que ce sera pour lui une occasion de voir enfin ce glorieux capitaine, dont les exploits ont fait plus d’une fois tressaillir son cœur de Français : il est persuadé que quelques minutes de conversation suffiront pour éclaircir un malentendu, et il n’a d’autre regret que celui de ne pouvoir, à cause de son nom, servir sous le premier général du siècle. Arrivé à Vincennes, il cause gaiement avec le commandant du château, partage son dîner avec un chien favori dont il n’a pas voulu se séparer, et il s’endort ensuite d’un profond sommeil. A onze heures du soir, on le réveille pour lui faire subir un interrogatoire auquel il ne comprend rien, et au bas duquel il écrit pour demander une audience au premier consul. Quelques heures plus tard, il comparaît devant des officiers rassemblés à la hâte, qui viennent seulement d’apprendre son nom et ne savent pas le premier mot des faits qui le concernent ; on l’interroge de nouveau, il nie loyalement toute pensée de complot et se retire, ne pouvant encore se persuader qu’il coure un danger sérieux. Quelques instans s’écoulent ; le commandant du château vient à lui, une lanterne à la main, et, d’une voix émue, il l’invite à le suivre. En voyant l’escalier étroit et tortueux par lequel on le fait descendre, le jeune homme s’écrie : « Où me conduisez-vous ? Si c’est dans un cachot, j’aime mieux mourir tout de suite. — Monsieur, répond le commandant, veuillez me suivre et rappeler tout votre courage. » On arrive au bas de l’escalier ; une porte s’ouvre sur un fossé : on entre, et on marche un instant dans le fossé, au milieu des ténèbres de la nuit, par une pluie fine et froide. Au détour du pavillon de la Reine, le jeune homme se trouve tout à coup en face d’un peloton de soldats ; à ses pieds, aux lueurs incertaines de trois ou quatre lanternes, il entrevoit une fosse creusée pendant qu’on le jugeait, et alors seulement il apprend que cette fosse est pour lui, et qu’il est condamné à mort. La surprise le rend un moment silencieux ; mais bientôt, d’une voix calme et ferme, aux lueurs de ces affreuses lanternes et par cette pluie fine et froide, il demande s’il n’y a pas là quelqu’un qui veuille lui rendre un dernier service, en lui prêtant une paire de ciseaux. On lui passe des ciseaux ; il coupe une mèche de ses cheveux, l’enveloppe dans du papier avec un anneau d’or et une lettre écrite après son arrivée, sans aucune prévision de ce qui allait suivre. Il confie ce paquet à un officier, en le priant de le faire parvenir à la femme dont la pensée l’occupe en ce terrible moment ; il demande ensuite si l’on ne pourrait pas lui faire venir un prêtre : on lui répond que cela est impossible. Sur cette réponse, il se recueille un instant, se préparant à mourir et recommandant son âme à Dieu. Quand il est