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David, et exprima aussitôt le désir d’avoir le peintre pour son maître. Si cette anecdote est vraie, elle montre dans cette jeune imagination, tout ardente qu’elle fût déjà, un instinct sûr de la vérité : non pas que ce tableau de David fût un de ses meilleurs ouvrages, ou fût même un bon tableau ; mais, à travers les traces qu’on y trouve encore du mauvais goût de l’époque, c’était l’un des premiers où l’on eût cherché à q s’éloigner de la manière et à ramener l’art à sa simplicité.

David agréa l’enfant, mais ne put l’admettre immédiatement dans son atelier : il partait pour Rome, où il se proposait d’exécuter ses Horaces, et promit ses leçons pour son retour. A quelque temps de là, le Jeune homme fit une grosse maladie ; le pauvre enfant s’écriait dans son désespoir : « Je vais mourir, je n’entrerai pas chez M. David ! » Le moment vint pourtant, et Gros se distingua tout d’abord parmi les remarquables émules qui formaient la nouvelle école. Le jeune homme travaillait nuit et jour. Des succès académiques furent la récompense de ses efforts. Il ne concourut qu’une fois pour le prix de Rome, mais dans cette épreuve on lui préféra son compétiteur Landou, décision qui n’est pas à l’honneur des concours d’académie.

Les événemens terribles qui agitaient déjà la France et l’Europe eurent une influence fâcheuse sur l’humble existence du jeune artiste. Son père, ruiné dans une banqueroute, tombe malade et meurt. Voilà le jeune Gros, qui jusque-là n’avait songé qu’à l’étude et à tout ce qui pouvait l’élever dans son art, forcé de consacrer moins de temps à ses travaux de prédilection. Il lui fallut donner des leçons, faire de petits portraits pour augmenter ses ressources et suffire à ses besoins. Ce fut tin motif de découragement, et bientôt les spectacles sanglans dont il fut le témoin malgré lui portèrent à son imagination un coup funeste. « L’impression de terreur qui en résulta, » dit un biographe du grand peintre, qui a été aussi son élève et son ami[1], « ne s’effaça jamais de son esprit ; elle fut la cause de cette réserve soupçonneuse dont sa vie ultérieure est restée empreinte. » Gros pria David de lui obtenir un passe-port pour l’Italie. Il ne fallut pas moins que l’attestation de son maître et celle de Regnault, alors célèbre, et dont l’école balançait celle de David, pour lui faire accorder comme une faveur l’autorisation de sortir de France, afin de perfectionner son talent par la vue des chefs-d’œuvre italiens.

Nous ne suivrons pas Gros au milieu de tous les obstacles que lui suscitèrent dans l’accomplissement de son désir, et le mauvais vouloir des autorités à la frontière, et la difficulté de se procurer des ressources pour son voyage. Il part enfin, et nous le trouvons bientôt à Gênes, à Florence, puis encore à Gênes, tirant parti de son talent et de

  1. Gros et ses Ouvrages, par J.-B. Delestre.