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vers le spectateur, comme s’il posait pour attirer le regard. Quand Lebrun a voulu donner à ses batailles l’action et le mouvement, c’est dans l’histoire d’Alexandre qu’il a été chercher ses sujets, fort beaux sujets sans doute, mais présentant, on en conviendra, moins d’intérêt que ceux qui eussent été empruntés à nos annales.

Emporté par un instinct de son génie, Rubens dédaigne l’histoire toute nue ou ne lui accorde qu’une place secondaire. Dans les magnifiques tableaux où il nous peint la vie d’Henri IV et de Marie de Médicis, si l’on en excepte la sublime figure de la reine dans la naissance de Louis XIII, les personnages contemporains ne sont le plus souvent que de froids témoins d’une action dont les véritables acteurs sont des êtres surnaturels. Les passions personnifiées dans les tableaux de Rubens sont devenues les personnages principaux. Dans un de ces tableaux, la reine vient de faire la paix et s’apprête à fermer le temple de Janus ; on la voit dans le fond, conduite par Mercure et d’autres divinités, pendant que sur le devant la figure de la Paix, un flambeau à la main, consume les armes, les machines de guerre, les attributs de la discorde et de la haine, en opposant un front vainqueur à des monstres frémissans. Dans un autre, les naïades, les tritons se jouent autour d’un navire ; Neptune lui-même le pousse par la poupe pour le faire aborder. C’est l’arrivée en France de la jeune Marie de Médicis. La scène principale, c’est-à-dire la reine elle-même entourée de ses courtisans et mettant le pied sur la terre française, se réduit à de petites proportions et n’est aperçue que dans le lointain.

Gros se passe de ce prestige ; il a vu ses héros à travers son enthousiasme ; la grandeur de leur action les élève suffisamment, et de ses hommes il fait des demi-dieux. Il avait puisé à l’école dont il sortait la rigueur des proportions et un goût épuré de dessin. On peut malheureusement imputer à la même source les parties critiquables de son exécution : mais il ne dut qu’à lui-même les qualités fortes et originales qui le placent à la tête de notre école de peinture.

Antoine-Jean Gros est né à Paris, le 16 mars 1771. Son père était peintre en miniature ; sa mère peignait aussi avec talent. Il put donc recevoir de ses parens les premières notions du dessin ; mais les meilleures leçons lui vinrent probablement de la vue d’un cabinet de tableaux choisis appartenant à son père. On le menait aussi quelquefois chez la célèbre Mme Lebrun, qui prenait intérêt à cet enfant, dont les dispositions se révélèrent de bonne heure. On dit que son père, qui était à la fois frappé et charmé de ces dispositions, le conduisit à une exposition du Louvre pour juger des premières impressions de son fils à la vue de la quantité de toiles qui allaient s’offrir à ses yeux. Il lui demanda, après quelques momens d’examen, quel était le tableau qui le frappait davantage. L’enfant désigna sans hésiter l’Andromaque de