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véritablement politiques ; mais l’espèce en est rare, surtout quand les révolutions prennent soin de les mettre tous les quinze ans en coupe réglée. Faute de mieux, il semble assez simple que les populations remettent leur confiance aux hommes qu’elles connaissent et dont elles s’honorent. Livré à lui-même, fidèlement interrogé, le suffrage universel suivrait sans doute cette pente, ou bien il ne serait point le véritable interprète du sentiment national. Est-ce cela qu’on redoute comme le danger des influences locales ? Est-ce ce cours naturel des choses qu’on veut arrêter ? Veut-on trouver quelque artifice pour substituer aux candidats véritablement préférés par les électeurs d’autres candidats expédiés de Paris sous la protection et pour ainsi dire sous la bande d’un journal dominant ? Veut-on continuer par un moyen légal, et établir comme régime habituel du pays, le fameux système d’exclusion du lendemain par la veille, c’est-à-dire des gens qui se sont donné la peine d’apprendre et de gagner quelque chose, — par ces véritables marquis de Mascarille du nouveau régime, qui, sachant tout, par grâce d’état, sans avoir rien appris, se croient aussi en droit de tout posséder sans rien acquérir ? L’élection par scrutin de liste est-elle un moyen pratique pour venir en aide à l’ostracisme des lumières et de la propriété, si éloquemment prêché dans les instructions électorales du gouvernement provisoire ? On a raison en effet, si tel est le but qu’on poursuit, d’épuiser tous les artifices, pour faire de l’élection un véritable casse-tête où personne ne comprenne rien ; car de lui-même, et tant qu’il y verra clair, il est douteux qu’un pays consente à se décapiter ainsi régulièrement de ses propres mains. Mais, quand on y aura réussi, sait-on bien quelles en seront les conséquences ? Il est à craindre qu’une assemblée qui aura laissé ainsi en dehors d’elle-même tous les hommes respectés de chaque localité n’obtienne à son tour, et pour elle et pour les institutions qu’elle aura fondées, qu’un assez médiocre respect. Ces existences honnêtes et modestes, qui s’élèvent au-dessus du niveau commun, ou conquises par le travail personnel, ou héritées en même temps que les traditions de l’honneur, ce sont les colonnes du pouvoir dans un grand pays ; c’est sur ces piliers que s’élève, d’étage en étage, l’édifice d’une société ; elles seules peuvent donner au pouvoir l’appui de cette force morale sans laquelle la force matérielle n’est qu’une lame d’acier brisée par la moindre paille. C’est mieux encore que tout cela : ce sont les postes avancés de la propriété et de la famille, ce sont les représentations éminentes de ces deux principes vitaux. Partout où vous les voyez menacées, tenez pour certain que ni la propriété, ni la famille elle-même ne sont en sûreté. Le mal qui s’en prend à la tête ne va pas tarder à gagner le cœur. Les systèmes communistes sont les enfans légitimes des passions envieuses : ils germent dans la corruption