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calculée, la revanche de l’impuissance de nuire où l’opinion publique l’a réduit. Rien n’est pesant et tyrannique au monde comme cette grande machine administrative, quand elle n’est pas maniée par une main habile. On dirait un vaste aqueduc ruiné par le temps, et dont les canaux détraqués ne font plus que détourner de leurs voies naturelles les eaux qui s’échappent des sources vives du sol.

Mais c’est à Paris surtout qu’il faudra voir ce pouvoir exécutif d’invention nouvelle aux prises avec les entreprises impérieuses et les volontés envahissantes d’une assemblée nationale unique. Je n’ai pas la prétention, après tant d’autorités de tous les genres et tant d’expériences de toutes les époques, de revenir ici sur la question des deux chambres. Les argumens ne manquent pas assurément, mais le découragement saisit et coupe la parole. Quoi ! c’est sérieusement qu’on nous propose de revoir encore deux autorités privées d’action l’une sur l’autre (l’assemblée ne pouvant révoquer le président, et le président ne pouvant dissoudre l’assemblée), forcées par conséquent de vivre ensemble et de se regarder sans cesse en face dans des rapports de droit à peu près égaux, et dans des rapports de force assez bien représentés par ceux de sept cent cinquante à l’unité. C’est une bonne intention sans doute qui a porté à respecter jusqu’au scrupule la séparation des pouvoirs exécutif et législatif, et à faire élire directement le président de la république par le choix populaire. Entre quelques mains qu’on la fasse, en effet, assemblée ou souverain, la confusion des pouvoirs n’est ni plus ni moins que la tyrannie ; mais je sais quelque chose de pis que cette confusion même : c’est une séparation apparente qui ne sert qu’à déguiser l’oppression d’un des pouvoirs par l’autre, en nourrissant en même temps chez l’opprimé des sentimens d’hostilité sourde, suffisante pour paralyser toute action de gouvernement ; c’est un état d’inimitié régulière établi par la constitution même, mais avec la certitude que l’avantage restera constamment du même côté, qui fait du pouvoir exécutif, par conséquent, non pas l’égal, ni le mandataire, ni même le serviteur, mais en quelque sorte le prisonnier de guerre du pouvoir législatif, tendant toujours, pour s’échapper, toute la longueur de sa chaîne. Or, la rude expérience des dix-huit mois de 1791 n’aurait-elle pas prouvé à tout jamais, pour une nation qui aurait un peu de mémoire, que telle est la condition fatale du pouvoir exécutif, lorsqu’en lui assurant un simulacre d’indépendance, on le laisse pourtant sans l’intermédiaire, sans l’élément pacificateur d’une seconde chambre conservatrice, en présence des usurpations instinctives et involontaires d’une assemblée nationale ? On peut dire, il est vrai, que si la constitution de 91 n’a été qu’un long et douloureux conflit entre deux pouvoirs terminé par un échafaud, c’est qu’on y conservait le nom de royauté, et que ce nom seul suffisait pour évoquer tous les maux