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œuvre de désespoir ; pour d’autres, c’est un ballon d’essai ; pour tous, ce n’est et ne peut être qu’un expédient dans un embarras, un incident dans une situation difficile. Examinons-la à ce titre ; c’est le seul examen qu’elle comporte et qui réponde, de bonne foi, aux intentions de ses auteurs. Dans la grande lutte où la France est engagée, la constitution nouvelle sera-t-elle ou ne sera-t-elle pas un temps de repos et un moyen d’action ? Donnera-t-elle quelque force dans le combat, quelque relâche aux combattans ?

Il faut, en effet, appeler les choses par leur nom ; le nom de la situation politique où nous nous trouvons, il est triste à dire, mais il est écrit sur toutes les murailles : c’est la guerre, non pas la guerre d’opinions, où les discours seuls sont des armes, mais la guerre véritable, la guerre où le sang coule et où le canon retentit. Le 22 février a vu le dernier jour de paix de la France. Depuis ce jour, qu’on peut regretter ou bénir, suivant qu’on a les instincts plus ou moins belliqueux, notre pays n’est plus qu’un champ de bataille où la force alternativement passe d’un camp dans un autre. Nous avons eu deux mois d’asservissement et de conquête, deux mois de dictature populaire, où les propriétés, comme les personnes, étaient sans défense, deux mois où il suffisait de quelques cris et de quelques bannières dans la rue pour faire descendre le gouvernement, ou ce qui s’intitulait de ce nom, humble et pâle, sur des tréteaux, et lui faire rendre compte de sa conduite. Nous avons eu ensuite deux autres mois où la société, se reconnaissant elle-même, rassemblait ses forces et reprenait ses sens, où la force publique et l’émeute, l’ordre et le désordre, les instincts légitimes et les passions insensées, se sont coudoyés dans la rue, mesurés de l’œil, provoqués du geste, livré des escarmouches en attendant la bataille. Enfin la foudre a éclaté, et, dans ses éclats, la voix de Dieu s’est fait entendre. La Providence, dont la justice se voilait depuis si long-temps, s’est enfin prononcée pour la bonne cause ; elle n’a pas abandonné, dans leur défense désespérée, le travail, la civilisation et la famille ; elle n’a pas donné aux hommes le droit de douter d’elle, en laissant périr tout ce qu’elle a mis elle-même de vertus dans leur cœur et de grandeur dans leur histoire. Depuis ce moment, à la force brutale a succédé la force organisée ; à la force destructrice, la force réparatrice ; à la force insultant au droit, la force défendant le droit, mais encore et toujours la force.

La constitution nouvelle terminera-t-elle ou du moins interrompra-t-elle cette violente situation ? Sera-ce une paix ou tout au moins une trêve ? Voilà ce qu’on se demande, ou plutôt ce qu’on ne se demande guère ; car, il faut le dire, par instinct on n’y compte pas beaucoup. En tout cas, elle ne le peut faire que de l’une ou de l’autre de ces deux manières, ou en transigeant avec l’ennemi public qui tient la société