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se sauver plus vite, et le parfait gentleman se croit méconnaissable, parce qu’il a dérogé jusqu’à monter dans un wagon de seconde classe. Les journalistes avaient étudié, enseigné, prêché toutes les manières de construire des barricades, tous les procédés destructifs de nos plus infernales émeutes, le verre pilé dans les rues, le vitriol et l’essence brûlante par les fenêtres ; il y avait des armes achetées, de la poudre fabriquée. Tout était prêt, moins les cœurs. Paddy s’amusait de ces belles épouvantes qu’il se faisait à lui-même, sans croire qu’il y risquât jamais beaucoup sa peau. Paddy n’apprendra point à se battre tout de bon tant qu’il ne désapprendra point l’assassinat, et il aura toujours un goût prononcé pour les mauvais coups, tant qu’il aura le dégoût trop prononcé du travail. L’Angleterre a sans doute été bien injuste pour l’Irlande, et l’abrutissement de l’Irlandais la punit aujourd’hui avec usure de ses anciennes iniquités ; mais il y a de l’opiniâtreté de race dans cette incurable paresse, et c’est pourtant le seul vice que tous les réformateurs patriotes de la verte Erin n’aient jamais songé à réformer. La croisade contre la paresse eût été plus féconde pour la liberté de l’Irlande que la croisade des repealers ; celle-là pourtant n’a jamais eu son O’Connell.

La croisade italienne a succombé par un même défaut d’énergie, et elle a compromis dans sa perte cet admirable petit peuple qui s’était jeté en avant pour la couvrir. L’Italie, vaincue sans avoir presque lutté par elle-même, a laissé le Piémont épuisé à la merci des vainqueurs. Nos ardens républicains de Paris, qui se récrient niaisement contre la trahison du roi Charles-Albert, sont bien mal informés ou n’ont guère envie de savoir la vérité : ils ne se donneraient pas le ridicule de pleurer sur le courage malheureux des démagogues italiens ; les Italiens ne se battent point. Ce qu’a souffert l’armée piémontaise dans cette désastreuse retraite, l’orgueil piémontais ne le dira peut-être pas, et cependant ce sont aussi de glorieux bulletins que ces chiffres de mort, que ces comptes funèbres d’héroïques victimes ou de régimens écrasés. Milanais, Vénitiens ou Lombards ne se sont pas exposés de si près. Il n’y a qu’une chose qui ait pu faire autant de mal que leur mollesse sous le feu, c’est la détestable habitude de jalousies, d’intrigues et de déclamations par laquelle ils ont entravé sans cesse la cause commune de l’indépendance. Ce n’est pas seulement en fuyant hier devant les Autrichiens qu’ils ont sacrifié leur patrie, c’est en s’acharnant depuis des mois entiers à de vaines disputes sur leurs places publiques et dans leurs conclaves municipaux ; c’est en préconisant les libertés à conquérir aux dépens des princes ou du roi même qui les sauvait, quand ils n’avaient pas encore conquis la nationalité ; c’est en jouant aux républicains avec une vanité puérile, quand ils n’étaient pas bien sûrs de n’être déjà plus sujets d’Autriche.

Nous sommes obligés de le dire encore, parce que nous en sommes sûrs, quoiqu’on l’ait démenti à la tribune de l’assemblée nationale : la France a malheureusement aidé ce mauvais esprit de l’Italie, et, pour avoir voulu qu’elle devînt tout de suite république, elle a contribué de sa bonne part à la refaire Autrichienne. Il y a eu un moment où le gouvernement français jouait, en Italie, le même jeu qu’en Belgique, ce jeu déplorable, indigne d’un grand pays, et qu’il n’est plus possible de nier, maintenant que la publicité nous permet de lire dans les dossiers de l’affaire de Risquons-Tout. La république avait à l’étranger, à Milan par exemple, des agens secrets qui contrariaient avec autorisation ses agens officiels, quand les agens officiels ne se chargeaient point eux-mêmes,