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oublié cette conduite ambiguë qui a ruiné la fortune et la popularité de M. de Lamartine ; elle se rappelle cette tactique déplorable avec laquelle il s’appuyait sur le désordre pour faire un ordre dont il eût tout seul le secret et l’honneur. Cette tactique est à jamais réprouvée ; le gouvernement actuel ne saurait y descendre, nous en sommes certains ; il a plus de droiture, et il n’aurait pas la fatale industrie des génies romanesques qui compliquent à plaisir les situations simples. Le gouvernement toutefois, qui suppose, vis-à-vis de lui, des prétentions bien plus entreprenantes qu’elles ne sont et bien moins désintéressées, le gouvernement et surtout ses amis les plus proches, ont trop paru craindre de perdre une force, s’ils laissaient découvrir les membres influens de l’extrême gauche. Ils ne se défendent point assez de regarder toujours ces mêmes personnes comme la chair et les os de la révolution. Ils sembleraient toujours tentés de se rattacher à elles comme à la vraie source du républicanisme, donnant ainsi à croire que le républicanisme est menacé d’autre part, que les hommes d’expérience, les hommes de sages et patriotiques antécédens, qui sont à l’autre extrémité de l’assemblée, présentent moins de garanties que cette extrémité violente, qui, victorieuse, les traiterait eux-mêmes en esclaves. Ils ne crient pas, comme l’impétueux citoyen Gambon, que les royalistes assassinent la république ; mais, en honnêtes gens qu’ils sont, ils n’aimeraient pas voir trop de lumière sur nos origines républicaines de cette année-ci, et, voulant rendre l’établissement bon en soi, véridique et vertueux, ils redoutent sincèrement, pour l’effet qui en pourrait sortir, de trouver à son berceau beaucoup de mensonges et pas mal de faiblesses. Ils auraient donc souhaité de grand cœur qu’on étouffât au plus vite une affaire qui s’annonce pour pleine de scandales. Ils auraient voulu supprimer toute délibération sur le rapport de M. Bauchart, empêcher la publication des pièces justificatives, émonder tout au moins et châtrer cette publication une fois résolue. On ne transige point ainsi avec la justice, encore moins avec la curiosité. Il y avait comme une secrète puissance qui poussait l’assemblée vers cet abîme de discussions où elle va tomber la semaine prochaine ; elle résistait, et elle était entraînée. Pourquoi, d’ailleurs, même en admettant les pires hypothèses, pourquoi cette discussion tournerait-elle contre la république ? On sait l’histoire de ce luthérien qui s’en allait à Rome pour contempler et maudire de plus près les abominations de la grande prostituée ; il s’en revint catholique, disant que cette religion était positivement la bonne, puisqu’elle ne périssait pas avec de pareils ministres. La république a beaucoup d’autres argumens qui l’assurent de son éternité : où serait le grand mal, si la discussion de l’enquête lui fournissait celui-là par surcroît ?

Il était bien évident, du reste, que cette discussion ne s’évanouirait pas comme une fumée. L’enquête, que beaucoup se reprochent aujourd’hui d’avoir ordonnée, l’enquête était inévitable. On pouvait sans doute la diriger dans des voies plus générales, non pas pourtant qu’il eût été sérieux de l’égarer dans les méditations humanitaires et dans les statistiques aventureuses des socialistes ; mais, si générales et si compréhensives que fussent les investigations, elles n’auraient point manqué de ramener constamment les mêmes noms propres. Faites d’abord par la justice, aboutissant à la demande d’une autorisation de poursuites, c’est-à-dire à une simple suspicion, comme celle qu’éleva le ministère public à propos de l’attentat du 15 mai, elles exigeaient, de la part de l’assemblée, une contre-épreuve. qui n’eût pas été autre chose que le travail auquel la commission s’est