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tout entière, fut le premier à admettre que la formation des cristaux devait être le résultat de l’action de forces constantes. cette pensée si juste ressort évidemment du rôle qu’il attribue aux terres et aux sels dans la lithogénésie ou formation des pierres, et, mieux encore, dans ce qu’il dit de la formation des cristaux, de leur forme polyédrique, qu’ils doivent, selon lui, à la présence d’un sel. Toutefois l’illustre naturaliste suédois se laissa aller à une erreur assez bizarre, lorsque, entraîné par les idées que lui avaient suggérées ses belles découvertes sur les sexes des plantes, il voulut les étendre aux minéraux, et regarda les sels comme jouant le rôle de mâles par rapport aux terres, qui rempliraient celui de femelles.

C’est à un Français, à Rome de Liste qu’est dû le premier essai de cristallographie. Dans un livre publié en 1772, ce savant décrivit un grand nombre de cristaux, la plupart inconnus ou mal déterminés avant lui. Il mesura mécaniquement les angles formés par leurs facettes, et démontra ce fait fondamental, que, dans la même variété d’un même cristal, ces angles sont toujours identiques.

Un peu plus tard deux naturalistes, l’un Allemand, l’autre Français, firent, à quelques années de distance et à l’insu l’un de l’autre, la découverte la plus importante pour la science dont nous parlons. Bergmann le premier, Haüy ensuite, reconnurent qu’un certain nombre de minéraux ont la propriété de se casser en lames, et que ces lames s’enlèvent dans un sens toujours le même pour la même substance, de telle sorte qu’en ôtant d’un minéral un certain nombre de ces lames, le solide qui reste entre les mains de l’opérateur diminue, il est vrai, de volume, mais conserve toujours les mêmes angles. Ils donnèrent au solide qui résulte de cette opération le nom de solide de clivage, nom emprunté au langage des lapidaires, qui depuis long-temps savaient cliver le diamant, c’est-à-dire le fendre en suivant ses plans naturels.

Bergmann s’arrêta à cette découverte ; Haüy, au contraire, n’y vit que le premier pas à faire dans une voie toute nouvelle. Il poursuivit ses recherches avec une persévérance que l’âge même ne put arrêter, et, lorsqu’il mourut, il laissa à notre patrie, au monde entier, une science de plus toute constituée, science qui a marché sans doute depuis sa mort, mais seulement en développant les principes posés par son inventeur. Haüy fut pour la minéralogie ce que Cuvier a été pour la paléontologie ou science des fossiles. L’un et l’autre ont créé de toutes pièces une science toute nouvelle. En nous rappelant que, vers la même époque, Cuvier constituait l’anatomie comparée, comme Lavoisier venait de fonder la chimie moderne, tandis que les Jussieu renouvelaient la botanique, ne sera-t-il pas permis d’éprouver un juste orgueil en voyant la presque totalité du monde savant marcher encore aujourd’hui sur les traces de nos illustres compatriotes ?

La même substance minérale présente souvent dans la nature des formes cristallines en apparence très dissemblables. Le diamant, par exemple, consiste le plus souvent en un solide à huit faces ou octaèdre ; mais on trouve des diamans qui ont six, douze, quarante-huit et jusqu’à quatre-vingts facettes distinctes. Haüy reconnut qu’il existe une relation simple entre la forme donnée par le clivage et toutes ces formes naturelles : il trouva que toutes ces