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arrivés à un état de choses où toute perte de temps est une perte de forces. » Lord John Russell tint le même langage dans la chambre des communes. Le bill de suspension de l’habeas corpus fut voté, pour ainsi dire, d’acclamation ; il passa par les trois lectures dans la même séance. Le chef des chartistes, M. O’Connor, essaya vainement de protester ; lord John Russell s’avança au milieu de la salle, prit sur le bureau la formule du serment, et la montra silencieusement à M. O’Connor au milieu d’un tonnerre d’applaudissemens. Cinquante mille hommes de troupes rayonnèrent sur tous les points de l’Irlande ; un camp fut formé en Angleterre, près de Liverpool, pour contenir les mouvemens que l’on pouvait craindre dans les districts manufacturiers et pour porter des renforts sur toutes les côtes. L’insurrection se trouva étouffée dans son germe.

En Irlande, ce fut comme un coup de théâtre. Les chefs de clubs, surpris et effarés, tinrent conseil à Dublin, et, renonçant d’avance à une lutte inutile, partirent en toute hâte pour les provinces. Du fond de leur prison, les malheureux conjurés, qui se voyaient désertés et abandonnés, et qui sentaient qu’ils n’avaient plus rien à perdre, poussèrent un dernier cri de guerre. Leurs journaux, imprimés et répandus dans la foule malgré tous tes efforts de la police, versèrent à flots la flamme de la révolte et l’appel aux armes.

Vains efforts ! Vainement ils crièrent : «Qui frappera le premier coup pour l’Irlande ? Qui ? » Pas un ne répondit, pas un ne se leva, pas un ne frappa ! C’était fini. Suivrons-nous dans son unique et burlesque convulsion cet avortement d’une insurrection qui s’était annoncée avec tant de fracas ? Montrerons-nous le descendant des rois de Munster, le malheureux O’Brien, mis en déroute, avec trois ou quatre mille hommes, par une cinquantaine de policemen, errant en fugitif et presque fou, pendant plusieurs jours, de ferme en ferme, et de guerre lasse se faisant arrêter à une station de chemin de fer ? Non ; nous ne pouvons pas nous associer au triomphe des vainqueurs. Quand O’Brien arriva, seul et brisé de fatigue, à la station où il fut arrêté, une pauvre femme qui vendait des groseilles le reconnut ; elle se cacha la tête dans ses mains, en disant : « Oh ! mon Dieu ! c’est lui !» Il y avait 12,000 fr. de récompense pour qui le livrerait, mais la paysanne irlandaise garda le silence. Quelques heures après, O’Brien passait prisonnier, et, jetant un douloureux regard sur la foule qui l’entourait, il se prit à dire : « En sommes-nous donc venus là ? Quoi ! pas un mot de sympathie de tout ce peuple ! Je vais être déporté, et l’Irlande redeviendra tranquille ; mais j’ai fait mon devoir, et le peuple n’a pas fait le sien. »

Ainsi finit la grande insurrection irlandaise de 1848 ; mais maintenant que va faire l’Angleterre ? Après un accès de délire, le malade est retombé sur son lit ; mais, hélas ! cette affreuse atonie n’est-elle pas