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les provinces et passait en revue les clubs. Une grande revue eut lieu vers la fin de juillet, dans un champ près de Cork. Les clubistes, par compagnie de vingt ou trente hommes, avec des officiers qui commandaient par signes, défilèrent devant M. O’Brien, entouré de son état-major. Le défilé se faisait dans le plus grand ordre et en silence, chaque homme portant seulement sa main à son chapeau en passant devant le commandant en chef. Qui n’aurait dit qu’il y avait là une armée ? L’époque de l’insurrection générale avait d’abord été fixée à l’automne ; les préparatifs pour la prise d’armes se faisaient publiquement, ouvertement ; les jeunes gens des clubs passaient leurs journées dans les tirs à la carabine ou à faire l’exercice avec la pique ; des convois d’armes, achetées en Angleterre même, arrivaient librement en Irlande.

Et maintenant, qu’est devenue toute cette fantasmagorie ? Où sont les généraux, où sont les troupes ? Comment cette grande clameur est-elle tombée ?

Vers la fin du mois de juillet, on apprit tout à coup que le voyage de la reine en Irlande était contremandé, et en même temps le lord-lieutenant mit plusieurs comtés, dont celui de Dublin, en état de siège, A Londres, les ministres apportèrent au parlement la loi martiale, celle qui devait suspendre la garantie individuelle de l’habeas corpus, et qui donnait au chef du gouvernement en Irlande le droit d’arrêter et de détenir préventivement, jusqu’au 1er mars 1849, tout individu suspect de conspirer contre la couronne. On dit que le gouvernement avait reçu avis de la prochaine explosion d’une conspiration formidable, et que le moment où l’insurrection générale devait éclater avait été avancé pour soustraire au jugement et probablement à la déportation les chefs de clubs alors renfermés dans les prisons de Dublin. Ce qui est aussi vraisemblable, c’est que le gouvernement anglais voulut aller au-devant de la guerre civile annoncée publiquement pour le mois de septembre, et lui enlever toute chance de succès en la privant de ses chefs.

Il est certain qu’un mois ou deux mois plus tard, la révolte eût été beaucoup plus sérieuse. La population des campagnes aurait pu s’emparer des récoltes et s’en faire des approvisionnemens. On la surprenait au moment où elle n’avait pas de vivres ; si elle s’était insurgée au mois de juillet, elle serait morte d’inanition dans les champs : elle se trouvait prise par la famine. Le gouvernement anglais avait été lent à agir ; mais, une fois engagé dans l’action, il y apporta la décision et la rapidité qui appartiennent aux gouvernemens aristocratiques comme aux gouvernemens autocratiques. Lord Lansdowne, dans la chambre des lords, dit : « Nous avons devant nous toutes les apparences de la guerre ; il n’en manque que la déclaration formelle. Nous sommes