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qui brûle dans tous nos cœurs. L’heure approche ; préparez vos armes et tenez-vous prêts. »

Le Félon Irlandais, que rédigeait M. James Lalor, était encore plus clair dans son langage. Il allait au fond de la vraie question en disant : « Il s’agit d’autre chose que du rappel. C’est sur un terrain plus large que nous avons à livrer notre dernière bataille à l’Angleterre. L’Irlande à l’Irlande ; l’Irlande à elle seule, avec tout ce qu’elle possède, depuis le gazon jusqu’au firmament ! Le sol de l’Irlande au peuple d’Irlande, ne relevant que de Dieu, qui l’a donné, qui l’a donné au peuple pour lui et pour ses enfans et pour ses descendans à tout jamais. D’un esclavage pire que l’esclavage de tout gouvernement étranger, d’une domination pire que la domination anglaise dans ses plus mauvais jours, de la plus cruelle tyrannie qui ait jamais enfoncé ses serres de vautour dans le cœur d’un peuple, de ces lois de voleurs qui ont fait de nous des esclaves et des mendians dans la terre qui nous venait de Dieu, délivrez-nous, Seigneur ! La délivrance ou la mort ! la délivrance ou le désert !.... Non, je ne reconnais pas un droit de propriété qui affame des millions d’hommes. C’est un droit fondé sur le code du brigandage et sanctionné seulement par le bourreau. Contre ce droit, je suis déterminé à faire la guerre jusqu’à sa destruction ou la mienne. »

En même temps, les clubs s’organisaient régulièrement sur toute la surface du pays. Vingt hommes dans une localité suffisaient pour constituer un club ; ils élisaient un commandant ou un président, et faisaient la propagande de l’enrôlement et de l’armement. Le centre était à Dublin, dans le conseil des confédérés. Les agens étaient en général soit de jeunes avocats, soit des employés de maisons de commerce qui faisaient l’office de commis voyageurs de l’insurrection. Les clubs se recrutaient aussi par la terreur ; dans les campagnes surtout, la classe de la gentry, qui aurait voulu se tenir à l’écart, était forcée, sous peine de proscription, de s’enrôler dans les sociétés. Un propriétaire d’Irlande, le comte de Glengall, disait, dans la chambre des lords, que les catholiques étaient en plus grand péril encore que les protestans, parce qu’ils étaient considérés comme des traîtres. L’épithète de « catholique orangiste » était un arrêt de mort. « Je reçois, disait lord Glengall, des lettres d’Irlande, dans lesquelles les propriétaires me disent que leurs propres tenanciers les engagent à fuir, parce que le jour de l’insurrection est proche, et parce qu’eux-mêmes sont forcés de se joindre au mouvement. »

En vain le gouvernement fit saisir les journaux des clubs, la Nation, le Félon, le Tribun, et arrêter leurs rédacteurs ; les journaux ne s’en vendaient pas moins : on se battait dans les rues pour les avoir, et ils étaient répandus à profusion dans les provinces. Quant aux arrestations, sous l’empire des lois ordinaires, il était très difficile de trouver