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« Il y a quelque chose de fascinant dans la vue d’une belle carabine. Je me rappelle le tressaillement délicieux qui me parcourut tout le corps la première fois que j’épaulai ma carabine bien propre, et que je me figurai un instant que j’avais un but devant moi, un prince, par exemple, ou un colonel, et que mon œil, glissant sur le canon, visait le bouton du milieu de son habit... On a conseillé le vitriol, mais on peut en avoir besoin pour la poudre-coton ; or, comme je ne voudrais pas condamner nos femmes à l’inaction, j’ai cherché pour elles une autre occupation. Elles n’ont qu’à prendre des cercles, des cercles de tonneau, les envelopper de chanvre ou même de vieux chiffons, puis les tremper et les tourner dans une cuve pleine d’huile, ou de goudron, ou de térébenthine, surtout de térébenthine, après quoi elles n’ont plus qu’à y mettre le feu et les jeter horizontalement sur les habits rouges, dont les baïonnettes les recevraient et les passeraient très commodément autour de leur cou, où ils feraient leur besogne... Du reste, malheureusement pour notre imagination, l’invention n’est pas nouvelle ; elle appartient à un grand-maître de Malte, qui en fit autrefois un merveilleux usage, ayant brûlé de cette façon quelques milliers de Turcs. Nous recommandons donc ce procédé à la place du vitriol, car, bien que les habits rouges ne soient pas aussi inflammables que des Turcs, cependant ils n’en sont pas moins susceptibles d’être rôtis. »


Comme on le voit par ces extraits que nous avons cru devoir reproduire assez longuement, les confédérés irlandais ne voulaient pas s’arrêter à la félonie ; ils voulaient aller jusqu’à la trahison. Cependant le procès pour lequel MM. O’Brien, Meagher et Mitchell avaient donné caution avant leur voyage à Paris suivait son cours. Le jour où les accusés comparurent devant la Cour du Banc de la reine fut naturellement pour eux un jour de triomphe. Les clubs les accompagnèrent processionnellement jusqu’au tribunal ; quand ils entrèrent, le jeune barreau se leva en battant des mains et en poussant des acclamations. Le jury était connu, par conséquent le verdict. On sait que la législation anglaise requiert l’unanimité du jury, et que les jurés sont enfermés dans la salle de leurs délibérations, jour et nuit, jusqu’à ce qu’ils se soient mis d’accord ; un seul opposant, bien déterminé, suffit pour empêcher une condamnation. C’est ce qui arriva : les accusés avaient un de leurs amis dans le jury ; les douze furent enfermés, passèrent la nuit dans une chambre, demandant en vain des lits et des vivres, et, comme on ne pouvait pas les laisser mourir de faim, on les relâcha le lendemain matin, et les accusés furent reconduits chez eux en triomphe.

Le gouvernement, toutefois, n’abandonna pas la partie. Le rédacteur de l’United Irishman, M. Mitchell, qui continuait ses publications, reçut une nouvelle assignation sous l’inculpation de félonie. Le procès, cette fois, était plus sérieux : il s’agissait de déportation. L’accusé et ses amis semblaient avoir encore compté sur la division du jury ; ils furent trompés dans cette attente : M. Mitchell fut déclaré coupable. Quand,