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que ce soit la logique qui tire de pareilles conséquences de la proclamation du 25 février. L’expérience les a tirées. Les ateliers nationaux sont l’histoire de ces dynasties fainéantes et rétribuées qui sont sorties en foule des flancs féconds de la proclamation du 25 février.

Rendons justice cependant aux utopistes : d’une part, ils ne savaient pas tout le mal qu’ils allaient faire, et d’autre part, s’ils croyaient faire quelque chose de nouveau, ils se trompaient fort. Un peuple souverain et oisif, ayant sa liste civile, entretenu par l’état, amusé par l’état, n’est pas dans l’histoire une chose nouvelle ; cela a déjà existé. Tel était le peuple à Rome dans les derniers temps de la république. « Il vivait, dit un savant historien des lois agraires[1], un défenseur éclairé du système des Gracques, il vivait des aumônes de l’état, des distributions gratuites que lui faisait la république, et de la vente de ses votes. » Ce souverain fainéant, nourri et amusé par l’état, qu’avaient créé les corrupteurs et les destructeurs de la république, se corrige-t-il sous l’empire ? Non : il ne vend plus ses suffrages, parce qu’il n’y a plus d’élections ; mais l’état le dédommage de cette perle. On augmente les distributions de vivres et on multiplie les spectacles. C’est à ce prix que les empereurs sont des dieux pour le peuple[2]. Ils savent que le pain et les spectacles sont les deux grands intérêts du peuple[3]. L’annone est la vraie liste civile du peuple ; c’est le salaire des ateliers nationaux, moins l’hypocrisie du travail. À l’annone ajoutez la sportule, qui est aussi une distribution de vivres que font les grands de Rome à leurs cliens. Le patronage antique subsistait encore en effet ; mais, comme toutes les institutions, il servait à l’abâtardissement du peuple et à la perversion de la société romaine.

Tel était l’idéal vers lequel nous marchions à grands pas : société étrange, en vérité, qui se disait nouvelle, et qui n’avait pour modèle dans le monde que la société romaine dans ses jours de décrépitude ; société qui ne pouvait vivre un instant, de nos jours, qu’à la condition que la France entière s’épuisât à entretenir les deux cent mille dynasties du peuple parisien, comme l’univers autrefois servait à l’entretien du peuple romain.

À l’histoire récente et significative du droit au travail, ajouterons-nous quelques réflexions, et essaierons-nous de comparer les effets

  1. M. Antonin Macé, professeur d’histoire. — Des Lois Agraires chez les Romains, 1 vol. in-8, 1846.
  2. Nocte pluit totâ : redeunt spectacula mane ;
    Divisum imperium cum Jove Cæsar habet.

  3. Annonâ et spectaculis plebem teneri, dit Fronton à Marc Aurèle.