Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/569

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

importe que le travail soit une destruction ou une construction. Si c’est une construction, c’est pur respect humain : la destruction servirait de même. Aussi, quand en pareille matière les gouvernemens n’ont pas le temps d’avoir des idées, ils se bornent à faire faire quelque chose d’inutile, par exemple remuer de la terre, hausser ce qui était plat, aplatir ce qui était haut, jusqu’au jour où ils s’aperçoivent qu’il serait absolument aussi utile de payer les gens pour ne rien faire du tout que de les payer pour ne rien faire qui vaille. Alors, au lieu de payer le travail inutile, on paie le repos indigent : cela revient au même.

Du droit au travail nu droit à l’aumône, la pente est facile. Les gens que l’on fait vivre à l’aide d’un travail factice comprennent vite le mensonge de tout cela. Ils voient bien que le salaire est une aumône. Les honnêtes et les fiers s’en indignent ; les paresseux s’en accommodent, et, prenant ce travail pour ce qu’il est, c’est-à-dire pour un pur prétexte, ils travaillent en conséquence.

Un des premiers actes du gouvernement provisoire fut, comme on le sait, de décréter le droit au travail. « Le gouvernement de la république française s’engage, dit la proclamation du 25 février, à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens. Le gouvernement provisoire rend aux ouvriers, auxquels il appartient, le million qui va échoir de la liste civile[1]. »

Cette proclamation était grosse de malheurs. Aucun n’a avorté ; mais ce que je veux surtout remarquer, c’est qu’elle disait plus naïvement qu’elle ne le croyait le secret de la société qu’elle voulait fonder, quand elle rendait, disait-elle, aux ouvriers, auxquels il appartenait, le million de la liste civile : elle substituait en effet une liste civile à une autre, la liste civile des ouvriers à la liste civile du roi ; elle substituait deux ou trois cent mille dynasties à la place d’une seule, et elle investissait ces dynasties de toutes les prérogatives des dynasties royales. Le privilège en effet des dynasties, ou du moins leur prétention, c’est d’être par le droit de la naissance et non par le droit de la capacité. Les dynasties ne conquièrent pas leur existence par leurs œuvres : leur existence est garantie par la loi, à la condition, il est vrai, de remplir certaines fonctions que les uns trouvent importantes et grandes, que les autres traitent de futiles et de cérémonieuses. Cependant, que ces cérémonies ou ces fonctions soient bien ou mal accomplies par les dynasties, leur existence, encore un coup, n’en est pas moins garantie par la loi. Telle est aussi l’existence de l’ouvrier selon la proclamation du 25 février. Qu’il fasse bien ou mal ses fonctions, que son travail soit une œuvre ou une cérémonie, il n’en est pas moins sûr de vivre. Et qu’on ne croie pas

  1. Recueil complet des actes du gouvernement provisoire, par M. Carrey, p. 12.