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villes, il pétrit le fer comme l’argile, il taille le bois et la pierre ; il maintient enfin l’état du monde, qui tomberait bientôt dans la stérilité et dans la solitude, s’il n’était sans cesse assisté et comme régénéré par le travail de l’bomme. Non-seulement le travail donne une face nouvelle au monde matériel, il donne aussi la joie au cœur de l’homme. Le forgeron aime à forger, le maçon à bâtir, le potier à façonner, le graveur à graver ; ils se réjouissent ou se consolent tous en l’œuvre de leurs mains. Le travail enfin, même dans ces siècles de timidité et de faiblesse industrielles, avait déjà sa qualité la plus caractéristique ; il ne faisait pas seulement vivre les hommes, il produisait une œuvre, il faisait du monde matériel le digne domicile de l’homme, et, de plus, il produisait un sentiment, c’est-à-dire qu’il réjouissait le cœur de l’homme. Il changeait et améliorait du même coup la nature matérielle et la nature morale.

Les docteurs chrétiens montrent encore bien mieux l’heureuse influence du travail sur la nature morale que les grands changemens qu’il apporte dans la nature matérielle. Ils vont même jusqu’à croire que si Dieu a voulu que la terre ne produisît de moissons que celles que procure le travail, c’est surtout pour que l’homme ne tombât pas dans l’oisiveté, mère de tous les vices. Le travail est à l’homme, dit saint Chrysostôme, ce que le frein est au cheval : il le contient et le dirige. L’homme qui travaille purifie et fortifie son âme, et les pères de l’église ne parlent pas seulement ici du travail en général, ils parlent du travail des mains. C’est au travail, sous sa forme même la plus rude et la plus grossière, qu’ils attribuent une salutaire influence sur l’ame. Ils tiennent à ce que l’homme, condamné au travail par la parole divine, acquitte sa dette, et l’acquitte par la sueur du corps, selon la lettre même de l’arrêt ; mais ils croient en même temps que l’acquittement de cette dette procure à l’âme une satisfaction qui l’épure et qui l’affermit. Saint Augustin[1] veut que les moines travaillent de leurs mains, et il fait de ce genre de travail une des obligations de la vie monastique. En vain les moines veulent équivoquer à ce sujet ; en vain disent-ils qu’ils travaillent quand ils vaquent à la prière, au chaut des psaumes, à la lecture de l’Écriture sainte. Saint Augustin n’admet pas ces capitulations de conscience ; il veut que les moines travaillent, il veut que l’obligation chrétienne soit rigoureusement accomplie.

Les idées du christianisme sur la nécessité et sur l’utilité morale du travail ont dû singulièrement influer sur la réhabilitation de l’industrie. Exercée autrefois par des esclaves, l’industrie se ressentait de l’abaissement de ceux qui l’exerçaient. Grâce au christianisme, elle devient la condition générale de l’humanité ; elle est autorisée par l’exemple

  1. De Opere monachorum.