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Le travail n’est pas seulement le moyen que l’homme a de vivre : il vaut mieux que cela. Si le travail, en effet, ne servait qu’à faire tourner éternellement cette grande roue de la vie humaine, l’homme se demanderait bien vite à quoi bon. Les machines qui dépensent leur force à produire du mouvement sans produire d’effet sont des machines ridicules. Travailler pour vivre et vivre pour travailler, telle n’est pas, telle ne peut pas être ici-bas la vocation de l’homme. J’aimerais autant, à ce compte, la vocation de l’écureuil qui tourne sa roue. Il faut consi- dérer le travail de l’homme par ses grands côtés, par le côté qui touche à Ja nature matérielle et à la nature morale, que le travail change et améliore toutes deux.

La nature matérielle : voyez comme saint Chrysostôme[1] peint la terre couverte de ronces et d’épines, tant que la main de l’homme ne s’y applique pas ! Le travail seul la fertilise et l’embellit. Saint Chrysostôme écrivait avant les prodiges de l’industrie et de la science modernes ; mais il admirait déjà les changemens merveilleux que l’homme faisait sur la terre. L’Ecclésiastique, plus ancien que saint Chrysostôme, admire aussi les œuvres de l’homme ; il décrit les divers métiers, le laboureur qui mène la charrue et qui prend plaisir à tenir à la main l’aiguillon dont il pique ses bœufs, le charpentier et le maçon qui songent nuit et jour à leur travail, le graveur qui grave les cachets, qui s’arrête à diversifier ses figures et s’applique à imiter la peinture, veillant pour achever son ouvrage ; le forgeron qui s’assied près de l’enclume et considère le fer qu’il met en œuvre. La vapeur du feu sèche son corps, mais il résiste à l’ardeur du fourneau. Le son du marteau et de l’enclume lui fait perdre l’ouïe, mais son œil est attentif à la forme qu’il veut donner à son ouvrage. Tous ces hommes sont heureux de l’industrie de leurs mains, et ils s’étudient à être habiles dans leur métier ; sans eux et sans leur travail, les villes ne seraient ni bâties, ni habitées, ni fréquentées... Ils maintiennent l’état du monde, quoique leurs souhaits ne concernent que leur art[2].

Voilà le tableau d’une industrie bien timide encore et bien faible, d’est l’enfance du travail humain, et cependant que l’effet de ce travail est déjà grand ! Il est loin des merveilles de l’industrie et de la science modernes ; mais c’est ce travail qui bâtit les villes, qui y appelle les habitans et les voyageurs. Aux champs, il change la face de la terre et la taille des animaux, qu’il fait plus grands et plus beaux ; dans les

  1. Homélies sur l’épître aux Romains.
  2. Ecclesiast., ch. 38. — Je passe les versets suivans : « Et toutefois on ne leur demandera point leur avis dans le conseil du peuple, et ils ne prendront pas la parole dans l’assemblée, et ils ne seront pas assis sur les sièges des juges ; ils n’interpréteront pas les lois qui font les jugemens ; ils ne publieront point les instructions ou les règles de la vie ; ils ne trouveront pas l’éclaircissement des paraboles.... »