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dépend des pensées et des actions des hommes. Tant valent les individus, tant vaut la société. Nous cherchons, de nos jours, un secret introuvable, celui d’une société qui vaudrait mieux que les individus qui la composent, d’un tout qui vaudrait mieux que ses parties. Mettre la vertu dans les mœurs publiques et la licence dans les mœurs privées, c’est une chose commode qui flatte à la fois les vices du cœur et les prétentions de l’esprit ; mais c’est une chose impossible. Jusqu’ici, personne n’a pu réussir à faire la cité de Dieu avec les sept péchés capitaux.

Indiquons les traits principaux de la doctrine chrétienne, celle de l’obligation du travail.

Le jour où l’homme a commencé la vie de ce monde, le jour où il a quitté le paradis pour la terre, c’est-à-dire la perfection pour la réalité et l’infini pour le fini, ce jour-là, il lui fut dit qu’il mangerait son pain à la sueur de son front. Le travail est donc une des conditions de la vie de l’homme en ce monde, c’est une des limites imposées à l’humanité. Quiconque cherche à changer le travail en jeu, en cérémonie, en prétexte ; quiconque ne laisse point au travail sa nature pénible et rude cherche à s’affranchir des conditions de l’humanité. Le travail, selon la doctrine chrétienne, fait partie des effets du péché originel et de la déchéance primitive de l’homme ; il est un des signes de cet assujétissement à l’imperfection, qui est le caractère de notre humanité. Je ne veux pas soutenir que la question sociale qui nous tourmente en ce moment n’est qu’une question théologique, je ne veux pas montrer que nous tentons de relever l’humanité de son imperfection originelle et d’établir dès ce monde le royaume de Dieu, c’est-à-dire le royaume où une intarissable abondance suffit à une intarissable jouissance : je laisse de côté ces questions, et je m’arrête à l’obligation du travail, telle que la définissent les pères de l’église.

Le travail n’est pas seulement une peine et un châtiment, dit saint Chrysostôme ; il est, comme tous les châtimens de Dieu, un avertissement et un remède. Les peines inutiles, qui ne servent qu’à la vengeance et à la colère, appartiennent à la législation humaine. Les peines de la législation divine servent au repentir et à la régénération de ceux qu’elles frappent. Tel est le travail, quand il est vrai et sincère, quand il n’est ni artificiel ni illusoire. Le travail, tel que Dieu l’a institué, est rude, mais il est productif. C’est là son caractère le plus certain. Rien n’était si facile à Dieu que de dire à la terre de tout produire spontanément ; rien n’était si facile à Dieu, qui est le producteur inépuisable, de suffire aux besoins du consommateur inépuisable qu’il avait créé. Il ne l’a pas voulu. Il a contenu nos appétits par nos peines et par nos labeurs ; il nous a dit : Vous n’aurez que ce que vous produirez ; mais du même coup il a donné au travail de l’homme le don d’être productif.