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qui ne se doutait pas alors peut-être que la réhabilitation de Ronsard franchirait un jour le seuil de l’Institut. Il y avait, au plus fort des luttes littéraires contemporaines, dans ce XVIe siècle si puissamment agité, de telles analogies de sentiment et de situation avec notre siècle, qu’il n’est pas surprenant de voir les plus vives, les plus fines intelligences remonter à cette source orageuse de nos destinées, s’attacher, avec un intérêt passionné, à une solennelle révision de cette époque où tout s’ébranle sous un souffle ardent, où tout se confond dans un choc longuement préparé, où tout se transforme : — langue, mœurs, institutions. Chacun des écrivains nouveaux que je rappelais a porté dans la peinture du XVIe siècle un esprit et un talent différens. L’essai de M. Saint-Marc Girardin a tous les mérites habituels à l’élégant et soigneux professeur : — la clarté, le tour vif et facile, la netteté des vues, un rare instinct du côté pratique des choses, la correction déliée du style. L’auteur ne s’élève point jusqu’à la philosophie de l’histoire ou de l’art ; il ne s’échauffe guère à ce large et mouvant spectacle qui se déroule sous ses yeux, il ne pénètre pas bien avant dans ce chaos de passions vivaces. Son dessin est plus rapide que profond, plus spirituel que vraiment vivant : il a hâte de dégager certains résultats plus incontestables que neufs, et qu’on peut appeler politiques, tels que la liberté de penser. En littérature, il a surtout en perspective le triomphe futur de la discipline. Enfin Malherbe vint ! dit M. Saint-Marc Girardin après Despréaux. Ce mot, qui dot son œuvre, ne révèlerait-il pas en lui trop peu d’amour pour l’époque qu’il retrace ? M. Sainte-Beuve, en bornant son étude uniquement à la poésie, en circonscrivant son sujet, l’a fouillé plus profondément et en a épuisé dans ces limites tout l’intérêt. Nul n’a mis plus de nouveauté dans l’investigation et n’a eu des traits plus sûrs, plus fins, plus brillans. Nul n’est plus familier avec toutes les tentatives littéraires du XVIe siècle, avec tous les essais de rénovation rhythmique qui se produisirent alors. Ces poètes d’une ère long-temps méconnue et dont les splendeurs souveraines du règne de Louis XIV ont intercepté la gloire, — les Ronsard, les Du Bellay, les Desportes, les Bertaut, — M. Sainte-Beuve les entoure d’une prédilection marquée ; il a vécu avec eux, il s’est imprégné de leur esprit, autant qu’il le pouvait sans s’y absorber, et reproduit merveilleusement à distance les nuances les plus subtiles de leur physionomie. Quand il écrivait son Tableau critique, l’auteur, du reste, lui donnait une valeur de circonstance, en puisant dans ce passé confus des lumières pour l’école poétique nouvelle, en y cherchant les premiers vestiges d’une tradition lyrique qui était à rajeunir, en datant de l’Avril de Belleau une inspiration qui, à travers bien des détours et des transformations, devait aboutir aux Feuilles d’automne, ainsi qu’il l’a dit, — en rapprochant Mathurin Régnier et André Chénier pour arriver, par le mélange habile