Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

neuve, saillante, capricieuse parfois, de la vérité que l’historien poursuit par un procédé plus direct et plus sévère. Je crains seulement que, dans cette voie de critique librement et hardiment interprétative, à demi romanesque, il n’y ait un écueil que ne redoute pas assez M. Chastes et que je ne sais comment nommer, puisque c’est le paradoxe. L’instinct de l’observation d’abord entraîne l’esprit et le provoque au curieux examen des choses. S’il arrive que cette curiosité de l’intelligence se développe sous l’influence d’un certain désabusement prématuré, vous verrez un besoin inquiet et impérieux de nouveauté prendre insensiblement le dessus, se substituer à tous les mobiles et devenir l’unique stimulant ; la liberté ne sera pour lui qu’un moyen de se mieux satisfaire. Bientôt, pour atteindre au neuf et à l’imprévu, pour ne point rester dans la route commune, on courra le risque de transformer des illusions en découvertes, de préférer ce qui est étrange à ce qui est simplement vrai, de mettre des hypothèses à la place des réalités, de rechercher les témérités qui surprennent au lieu des certitudes qui éclairent, et c’est alors peut-être qu’on laisse mieux apercevoir la nécessité d’un frein intérieur, d’une direction première, d’une pensée fondamentale qui marque sa présence et se révèle, non pour systématiser l’observation, mais pour la conduire, non pour asservir l’indépendance, mais pour lui assigner un but, non pour détourner le goût de la nouveauté, mais pour lui tracer des limites. Il n’est pas d’homme, d’ailleurs, qui se joue avec plus d’aisance à travers ces difficultés que l’auteur des Études.

Dans un ordre d’idées plus purement littéraires, le mouvement d’esprit de M. Philarète Chastes n’est pas moins vif et distinct. Contemporain des premières luttes de la rénovation moderne, son originalité ne s’est point formée à ce même foyer d’où sont sortis tant de talens généreux. On ne le voit partager aucune des passions qui enflammaient et divisaient les intelligences, devenir l’auxiliaire direct d’aucune des écoles rivales, se rattacher à aucun des groupes en vue. Dans cette guerre où s’agitaient toutes les questions d’art, de procédés littéraires, de style, où quelquefois même ces questions de forme dominaient un peu trop peut-être, il y a des secrets qu’il ignore, des nuances dont il n’a pas le sentiment. C’est ainsi que, dans un article sur Joseph Delorme, il saisissait mal le caractère et l’intérêt de cette singulière production, et y voyait je ne sais quelle tentative de poésie naïve et populaire qui n’était point dans l’intention de l’auteur. Le travail d’innovation qui s’opère parmi nous à cette époque a des traditions, un sens, un côté actuel et national, qui échappent dès l’abord à ce brillant esprit. Faut-il s’en étonner ? Tandis que le mouvement de la pensée littéraire se dessinait en France, M. Philarète Chastes vivait à Londres, seul, livré à ses rêves et à une direction étrangère, se