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même ; c’est le mystère de ce travail intérieur, qui absorbe, émeut et passionne toutes les intelligences contemporaines. Pourtant ce qui apparaît comme un fait, c’est que, même avant la révolution où la royauté a succombé, tout semblait disposé, dans la littérature, pour un changement infaillible. Les symptômes de cette transition, on a pu les voir dans les excès bruyans, dans les suprêmes et stériles efforts de ceux qui ont fait de la fécondité un vice littéraire, aussi bien que dans la muette réserve de ceux qui se recueillaient, s’interrogeant eux-mêmes et interrogeant avec une égale anxiété tout ce qui les entourait. La conscience de cette situation pesait sur tous les esprits ; ils sentaient qu’ils se trouvaient placés entre une période littéraire près de s’achever, qui a eu ses conditions et sa gloire, qui a produit ses fruits, et une époque dont le caractère pourra être empreint de grandeur, mais, pour l’instant, est assurément vague et incertain. Examinez autour de vous : n’est-il point vrai que, sous les apparences d’une trompeuse prodigalité d’imagination, il y a en réalité, depuis quelques années, une sorte de suspension du mouvement poétique si victorieusement inauguré dans la première partie du siècle ? Parmi les hommes qui en ont été les illustres promoteurs, l’un a pu être entraîné à donner une démission éclatante, exceptionnelle, et, malgré tout, regrettée toujours par les plus chers amis de sa gloire ; d’autres se sont renfermés dans un silence prolongé, soit qu’ils craignissent de jeter à un vent inconnu leur pensée, accoutumée à l’atmosphère de leurs premiers succès, soit qu’ils travaillassent dans la méditation, avec maturité, à leur propre rajeunissement ; il en est enfin que des goûts croissans, développés par l’âge, inclinaient chaque jour de plus en plus vers des études d’un ordre différent. Pour la plupart des œuvres de cette génération brillante, ne semblait-il pas déjà qu’un commencement de postérité fût venu ? Et cela ne prouvait-il pas que les conditions au sein desquelles ces œuvres avaient vu le jour n’étaient plus les mêmes, que la poésie avait besoin d’une impulsion nouvelle, pour reprendre son cours interrompu, pour retrouver une vie actuelle et féconde ? Voyez en même temps ce penchant de beaucoup d’écrivains qui ont marqué par leur talent sous d’autres rapports, qui ont été au premier rang dans les luttes intellectuelles, et ont eu cette heureuse fortune de servir de leur esprit, de leur éloquence, de leur verve, l’art moderne dans ce qu’il a de juste et de vrai ; voyez, dis-je, le penchant de ces écrivains à revenir en quelque sorte un moment sur eux-mêmes, à rassembler tout ce qui a pu tomber de leur plume, — essais, fragmens, simples articles, — comme pour dire adieu à leurs années actives et militantes, à cette période dont leurs œuvres sont le plus ingénieux et le plus vivant commentaire. On peut attribuer ce sens à plus d’une publication littéraire des dernières années de la monarchie. L’un de ces écrivains, qui a su allier la poésie