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vague et l’inexactitude qui les caractérisaient, ne pouvaient inspirer que méfiance à des esprits aussi habiles, aussi expérimentés que ceux du conseil de régence ; pourquoi donc appuyer son déplorable système ? On parla de menaces faites par le ministre de créer du papier-monnaie, si le conseil de régence rejetait sa demande ; mais, devant l’impopularité d’une pareille mesure, lorsque la situation du trésor n’en aurait pas même fourni le prétexte, l’assemblée nationale eût reculé, et dès-lors, adressées à un corps indépendant comme le conseil de régence de la Banque, ces menaces de M. Duclerc n’étaient qu’inconvenantes et ridicules. On peut dire que ce qui effraya le plus l’opinion publique, ce fut de voir la Banque faire encore un pas dans cette voie dangereuse qui la liait si intimement à l’avenir du trésor, qu’elle n’en était plus en quelque sorte qu’une succursale. Engagée avec l’état pour 230 millions, dont le remboursement pouvait durer plusieurs années, la Banque voyait reculer indéfiniment l’époque où elle reprendrait les paiemens en espèces ; cette prolongation indéterminée de la non-convertibilité des billets frappa bien des esprits, qui y virent de grands dangers dans l’avenir, non-seulement pour le commerce intérieur, mais aussi pour le cas où, la balance du commerce extérieur tournant contre la France, nous serions obligés de payer en numéraire soit des denrées alimentaires, comme il y a deux ans, soit les matières premières indispensables à notre industrie. La dépréciation du billet de banque deviendrait alors inévitable, car, ne pouvant solder nos comptes à l’étranger au moyen de notre monnaie de papier, ni faire sortir des coffres de la Banque le numéraire s’y accumulant tant que le billet aurait cours pour sa valeur entière, force serait d’acheter avec le billet l’or et l’argent répandus dans le pays à un prix supérieur à leur valeur numéraire.

Ces considérations et d’autres encore firent regretter à quelques personnes que la Banque n’eût pas traîné en longueur une négociation qu’aurait naturellement rompue la chute inévitable et prochaine de M. Duclerc. Nous sommes convaincu que son successeur, plus sage et plus habile, eût été bien moins exigeant vis-à-vis de la Banque, et se fût contenté du prêt de 75 millions nécessaire aux besoins du trésor en 1848.

Il est important que l’assemblée nationale ne perde pas de vue la position actuelle de la Banque, maîtresse aujourd’hui de la circulation du pays, et dont le crédit, si justement acquis, maintient à sa valeur nominale un papier ayant cours forcé. L’état a demandé à la Banque plus peut-être qu’il n’était sage d’exiger d’elle. La Banque a été instituée pour venir en aide au commerce ; il ne faut pas que tous ses moyens soient absorbés par l’état, et que le jour où le commerce reprendrait son ancien essor, elle soit obligée de lui refuser les secours