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La prétention du droit pour l’état d’exproprier les lignes de chemins de fer n’est pas la seule application qu’ait faite M. Goudchaux des doctrines socialistes à l’administration du trésor. Presque tous les actes de son ministère portent les traces de cette funeste tendance dans la morale politique de l’homme qui dirige nos finances. Il est essentiel de faire ressortir le fatal effet qu’a produit sur le crédit public en France et à l’étranger l’application de ces nouveaux principes.

Un des premiers décrets présentés par M. Goudchaux à la sanction de l’assemblée avait pour but la consolidation en rentes des dépôts des caisses d’épargne et du capital des bons du trésor. Déjà le comité des finances, sous le ministère de M. Duclerc, s’était occupé de ces deux mesures, destinées à réparer l’iniquité de deux des décrets les plus spoliateurs du gouvernement provisoire et qui plaçaient incessamment la république sous l’odieuse accusation de banqueroute. Plus soucieux que le pouvoir lui-même du crédit et de l’honneur du trésor, le comité des finances, s’emparant d’une initiative dont le ministre aurait dû être jaloux, proposa, dès le mois de juin, de faire cesser l’interdit mis sur les caisses d’épargne et sur les capitaux placés en bons du trésor, en délivrant aux porteurs de livrets et de bons une inscription de rente suffisante pour qu’en vendant ces rentes à la Bourse, ils rentrassent intégralement dans les fonds confiés à l’état. Tel était le principe posé par le comité des finances, principe bien simple et conforme aux règles de la justice et de l’honnêteté, puisque l’application libérait le trésor et satisfaisait intégralement les créanciers de l’état, qui n’auraient pu se plaindre que d’un retard dans l’acquittement de la dette. L’exécution paraissait aussi simple que le principe était aisé à trouver. L’état, dans l’extrême pénurie du trésor, avait intérêt à conserver ces fonds, si les créanciers consentaient à les lui laisser, d’autant plus que la consolidation avait lieu à un taux d’intérêt très onéreux pour l’état, 6 et 1/2 à 7 pour 100 ; le bon sens et l’intérêt du trésor s’accordaient donc à rendre facultative et non obligatoire la conversion en rentes des livrets et des bons ; on peut assurer, sans craindre de se tromper, que, si le taux des conversions eût été fixé raisonnablement, une grande partie des dépôts des caisses d’épargne, et quelques-uns aussi des capitaux placés en bons du trésor, fussent restés entre les mains de l’état. C’était, suivant nous, une première faute de rendre la conversion obligatoire.

Une seule raison s’offrait à l’esprit en faveur de celle obligation ; mais elle n’a certes pas été prise en considération par le ministre, à en juger par sa conduite dans la séance où le décret a été voté. En forçant la conversion et fixant pour l’échange un cours suffisamment inférieur au cours de la Bourse, on pouvait espérer qu’une partie des détenteurs de livrets et un certain nombre de porteurs de bons vendraient leur rente pour s’assurer un léger bénéfice, et qu’une fois