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que poètes et historiens ont déguisés sous de si belles couleurs, combien de misérables n’a-t-il pas fallu réunir ! Quelle vile canaille autour de ce bâtard de Guillaume ! que de coquins ! que de Bobs ! C’est là que l’alcade voulait en venir ; il avait besoin de toute cette philosophie inattendue pour annoncer au colonel Morse que le meurtrier serait absous. « Mais vous n’êtes pas un chef de Normands, dit le colonel ; vous n’êtes ni un Guillaume-le-Bâtard ni un Plantagenet. — Je suis tout autant que chacun de ces hommes, reprend l’alcade ; je suis citoyen américain, et j’ai le Texas à conquérir. » Cette scène bizarre et forte exprime avec une énergie sauvage l’ardeur envahissante de la race anglo-américaine : la haute impartialité du peintre n’a voilé aucun trait de cette insatiable ambition.

Mais ce n’est là que le commencement des théories de l’alcade ; ses loisirs lui ont permis de réfléchir beaucoup, et vraiment il y a profit à l’entendre, quand il expose avec une brusquerie si originale la situation de son pays. Le Texas, avant de conquérir son indépendance, était une sorte de Botany-Bay pour le Mexique ; on y jetait assassins et voleurs. « Heureusement, dit l’alcade, l’Union nous envoyait aussi les siens, et cela formait un contre-poison. » On pense bien que ces étranges théories sont de continuelles surprises pour le colonel Morse. L’alcade, cependant, n’hésite pas à prouver son dire, et rien n’est plus curieux que ce portrait de la canaille mexicaine comparée à la canaille des États-Unis : ici, des malheureux qui joignent l’hypocrisie à la perversité, des bandits que l’absolution d’un confesseur stupide prépare à de nouveaux forfaits ; là, des criminels sans doute, mais chez qui les ressources ne manquent pas, et qui conservent, comme une religion dernière, le plus vif sentiment de la pairie. Tel est le meurtrier Bob, et c’est pourquoi l’alcade ne veut pas le condamner. Il sent qu’on a besoin, comme il dit, de ces pierres mal taillées, de ces rudes morceaux de granit rebelle, dans les fondemens d’une société qui se forme. Pour bien comprendre, d’ailleurs, cette indulgence presque paternelle de l’alcade pour l’assassin, il faudrait citer la scène tout entière et voir quelles luttes la colonie américaine est obligée de soutenir contre la perfidie espagnole ; mais, encore une fois, comment compter les richesses que prodigue la verve du hardi causeur ? Disons seulement que c’est là une des excellentes créations de M. Sealsfield. Le caractère de l’alcade s’y révèle avec une énergie extraordinaire, et les lueurs les plus vives éclairent cette étrange société de colons et de brigands. Au lieu d’avoir affaire à un juge de village, le colonel Morse a en face de lui un des chefs qui préparent dans l’ombre la révolution du Texas. Séduit par les projets enthousiastes et l’imperturbable assurance de l’alcade, le colonel met son épée au service des insurgés américains. La guerre éclate, et, au milieu d’une bataille. Bob, réhabilité par son