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profond amour, une mâle et respectueuse tendresse pour les libres institutions de son pays. Il y a là de quoi imprimer à ses écrits une vive originalité ; j’ajoute que son esprit est plein d’audace, et que son imagination atteint sans peine à la véritable grandeur. Ses romans sont plus qu’un vivant tableau de la société des États-Unis, ils ont une sorte de majesté épique. L’auteur, en effet, poursuit un but sérieux, et, lorsqu’il confronte le Nouveau-Monde avec les vieilles monarchies européennes, c’est pour marquer le rôle de sa patrie dans le drame de l’histoire universelle. De là quelque chose de grave, d’austère, une virile intelligence de l’histoire mêlée aux créations de la poésie. De là aussi une foi sans bornes dans la suprématie de l’Amérique et une sincère ardeur de prosélytisme.

Quel est donc ce poète dont le nom va être prononcé en France pour la première fois ? D’où vient cette imagination heureuse et forte qui se révèle tout à coup par des créations si belles et si peu attendues ? Remarquez ici le mélange qui s’opère chaque jour entre les races humaines, et voyez les produits de ces alliances fécondes. J’ai dit que ce poète a un merveilleux sentiment de l’histoire, et que ses romans empruntent au sentiment de la vie universelle une sorte de largeur épique ; or, ne semble-t-il pas que les conditions dans lesquelles s’est formé son talent aient dû favoriser ce résultat ? Né de parens allemands, assure-t-on, bien que son nom semble attester une origine anglaise, M. Charles Sealsfield a deux patries, l’Amérique et l’Allemagne. La patrie de son cœur et de sa pensée, c’est bien certainement l’Amérique ; cependant il n’a pas oublié le pays de ses pères, et, jeté par le hasard de la naissance au sein d’une société dont la grandeur le remplit d’enthousiasme, c’est pour son autre patrie, c’est pour l’Allemagne surtout qu’il a tracé ces poétiques tableaux d’un grand peuple. Citoyen dévoué d’une démocratie, son esprit est sans cesse dirigé vers cette Allemagne d’où sont sortis ses ancêtres, et à laquelle bien des liens sans doute le rattachent encore. Il lui envoie la bonne nouvelle. Il lui dit quels spectacles il contemple, quel idéal il entrevoit chaque jour sur le sol républicain du Nouveau-Monde. N’est-ce pas là, pour une mâle intelligence, une source vive d’inspiration, et cette situation si originale n’explique-t-elle pas l’élévation naturelle de sa pensée ? Oui, tous ces beaux récits, dont quelques-uns, j’ose le dire, sont l’épopée de l’Amérique nouvelle, tous ces récits admirables ont été écrits en allemand dans la patrie de Washington. En vain les traduisait-on avec un empressement sans exemple, en vain la presse américaine en faisait-elle l’objet de ses éloges enthousiastes ou de ses critiques passionnées : l’auteur ne se laissait pas distraire par ce succès inouï. C’est pour l’Allemagne qu’il avait écrit, c’est de l’Allemagne qu’il attendait patiemment sa récompense. Aucun nom sur ses livres, rien qui pût commander